Le décès d’un proche peut venir ébranler le sentiment de sécurité nécessaire au développement de l’enfant. A cet égard, l’école s’avère bien souvent un précieux lieu de stabilité pour le jeune : lieu où il peut reprendre les repères de sa vie d’avant le drame, l’école est souvent un endroit où le jeune possède des liens de confiance, et peut être à la recherche d’une forme d’écoute ou d’accompagnement tacite. Comment comprendre ce rôle de l’école ? En quoi les enseignants constituent-ils des tuteurs de résilience pour le jeune ?

L’éclairage de Christine Fawer Caputo, docteure en sciences de l’éducation, professeure associée à la Haute Ecole Pédagogique de Vaud (Suisse), spécialisée dans l’éducation à la perte et dans l’accompagnement du deuil à l’école. Co-auteure de La mort à l’école : annoncer, accueillir, accompagner (De Boeck Supérieur, 2015).

 

Les camarades d’école et les enseignants, des facteurs de protection à l’heure où le sentiment de sécurité peut être fragilisé

Perdre un proche, qui plus est un des parents, provoque souvent un cataclysme dans la vie d’un enfant ou d’un adolescent, car la rupture soudaine d’un lien d’attachement signifiant peut également briser le sentiment de sécurité nécessaire à son développement. D’autant plus s’il doit également faire face à des « pertes secondaires », comme un déménagement, et donc la perte de repères ou l’éloignement d’amis ou de membres de la famille. Ces changements risquent d’intensifier les facteurs de stress secondaires et, par là même, augmenter son niveau de détresse. À cette occasion, les amis, les camarades d’école et les enseignants peuvent se révéler des facteurs de protection.

Le retour en classe

Pour éviter de se sentir différent des autres (qui ont encore leurs deux parents par exemple) ou pour se protéger d’éventuelles remarques blessantes ou déplacées, il peut arriver que l’endeuillé, de retour à l’école, s’abstienne de parler de sa situation et fasse comme si de rien n’était, donnant ainsi l’illusion qu’il va bien. Cette attitude est particulièrement visible à l’adolescence où le jeune, souvent par peur du rejet social, souhaite donner une image de lui comme étant fort et indépendant. Pourtant, les élèves, principalement les plus jeunes, font souvent preuve d’empathie envers un camarade endeuillé et souhaitent activement l’aider.

L’école, un pôle sécurisant pour l’élève en deuil

Juste après un décès, certains élèves ont du mal à retourner en classe, souvent parce qu’ils s’inquiètent de laisser le – ou les – parent(s) ou leurs jeunes frères et sœurs seuls à la maison, surtout si l’un d’eux ne va pas bien. Mais généralement, l’école représente plutôt un lieu sécurisant pour l’élève en deuil, car elle lui permet de retrouver les repères de sa vie d’avant le drame : un lieu où il peut reprendre des routines habituelles, où le cadre est maintenu et où il retrouve un semblant de normalité. Les enseignants, de par la relation de confiance qu’ils instaurent avec leurs élèves et de par leur métier basé sur la relation d’aide, peuvent aussi jouer un rôle crucial auprès de jeunes endeuillés et devenir des tuteurs de résilience. En leur accordant une attention particulière, ils peuvent montrer qu’ils comprennent leur souffrance mais aussi qu’ils la respectent sans indiscrétion et qu’ils sont à l’écoute en cas de besoin. Il arrive, en effet, qu’un élève endeuillé choisisse un enseignant en particulier comme confident, parce qu’il est un adulte de confiance extérieur au milieu familial et qu’il n’est pas affecté lui-même par le décès. Pour le jeune en deuil, parler de ce qu’il vit ou de la souffrance qu’il ressent, avec sa famille ou le parent restant, est souvent difficile parce qu’il ne souhaite pas les inquiéter davantage ou ne pas provoquer tristesse et larmes ; si bien que l’enseignant, en offrant une écoute attentive et bienveillante, peut devenir une source de soutien inestimable.

Les enseignants, des tuteurs de résilience précieux pour l’élève endeuillé

L’équipe éducative peut également favoriser la mise en route d’un processus de reconstruction bénéfique à l’endeuillé : en l’aidant à restaurer son estime de soi, en valorisant son travail, en lui montrant que ses maîtres ont confiance en lui et en ses compétences. Les enseignants qui interviennent dans la classe peuvent par ailleurs convenir d’un signe discret avec l’élève qui indiquerait que ce dernier ne se sent pas bien ou qu’il a besoin de leur soutien dans une tâche particulière ; le signe convenu lui éviterait d’être au centre de l’attention ou de se sentir scruté par ses camarades.

De l’importance d’instaurer une relation privilégiée entre la famille et l’équipe pédagogique

Soulignons encore l’importance d’instaurer une relation privilégiée entre la famille et l’équipe pédagogique (via le maître référent par exemple), afin échanger régulièrement diverses informations sur l’enfant ou l’adolescent. Le jeune endeuillé peut en effet adopter un comportement différent en classe ou à la maison, souvent pour ne pas inquiéter davantage ses proches. Communiquer les éléments observés permet de vérifier l’état du jeune, de sa santé, de ses besoins, de ce qu’il vit ou comment on peut l’aider à aller mieux si nécessaire. Tant du côté de la famille que de l’école, c’est une manière de lui faire comprendre qu’on fait attention à lui, qu’on entend sa souffrance et qu’on est disponible pour lui.

Les grandes étapes de la scolarité et de la vie, des moments qui peuvent catalyser le sentiment d’être différent

À noter, enfin, que la période la plus difficile pour un élève en deuil ne suit pas toujours immédiatement le décès du proche mais peut survenir plus tard dans la scolarité ou à des moments sensibles : remise de diplômes, date commémorative du décès, anniversaire du défunt, etc. De nombreux jeunes estiment que la perte et la douleur qu’ils ressentent durent bien plus longtemps que leur entourage (famille, amis, école, société) ne le croit. Ce sentiment les fait souvent se sentir différents et seuls face à leur chagrin.