Est-il souhaitable d’emmener son enfant rendre visite à un défunt au cimetière ? Quelles précautions prendre, comment l’accompagner au mieux ? Autant de questions qui ressurgissent parfois dans les familles, à l’occasion des enterrements ou des célébrations comme la Toussaint.

LE REGARD DE Daniel Oppenheim, psychiatre et psychanalyste, auteur de « Dialogues avec les enfants sur la vie et la mort » (Seuil, 2000) et de « Parents, comment parler de la mort avec votre enfant ? » (De Boeck, 2007).

A partir de quel âge peut-on emmener un enfant au cimetière ?

A n’importe quel âge, du moment où quelqu’un peut s’occuper de lui pendant la visite. Un petit enfant, même de 3 ans, peut avoir le sentiment que c’est un moment important, surtout s’il connait bien la personne disparue. Il ne comprendra pas forcément tout, mais après, même des années plus tard, il pourra se rappeler de ce moment où les adultes ont eu confiance en lui, alors qu’il pourra à contrario leur en vouloir s’il a été mis de côté. Il est indispensable qu’une personne puisse accompagner l’enfant, lui expliquer les tenants et aboutissants de la visite, accueillir son émotion, et aller dans un parc jouer avec lui ou rentrer à la maison s’il montre des signes d’inquiétude ou de désarroi, ou s’il en a marre. Le temps de la visite ne doit pas lui être imposé, et s’il n’arrive pas à comprendre, mieux vaut sortir du cimetière avec lui.

Comment peut-on préparer et anticiper la visite ?

Elle se prépare à vrai dire beaucoup plus en amont. Si la personne enterrée est une personne qu’il connait bien, il a bien vu la dégradation, il a pu constater les impacts de la maladie et du vieillissement. Lui expliquer l’évolution de cette personne, pourquoi elle est de plus en plus faible, est essentiel pour qu’il ne soit pas pris par surprise ou décontenancé à la mort de cette dernière.

La visite au cimetière peut être une occasion pour le jeune d’apprivoiser avec sérénité la mort et de comprendre le sens des rituels. Elle est l’occasion de rappeler une chose au jeune : la mort en tant que séparation radicale, physique, ne signifie pas pour autant sa disparition psychique et affective. La personne qu’il connait n’est plus là, elle ne lui rend plus visite, certes, mais on peut néanmoins garder la mémoire de cette personne, de tout ce qui s’est passé avec elle avant, on peut continuer à l’aimer et à garder un lien avec elle, tout en sachant où elle se trouve.

La visite au cimetière est l’occasion de rappeler une chose au jeune : la mort en tant que séparation radicale, physique, ne signifie pas pour autant la disparition psychique et affective de la personne.

Daniel oppenheim

On peut ainsi expliquer à l’enfant que le cimetière est le lieu où l’on va mettre le corps et qu’il s’agit d’un lieu de mémoire : à la différence d’un objet que l’on jette à la poubelle, le mort est en ce lieu bien organisé, accessible à tout moment à l’enfant. On peut y aller lors de certaines occasions, comme l’anniversaire de la personne ou la Toussaint, ou tout à fait librement lorsqu’on a envie d’être proche de la personne par la mémoire, l’esprit et l’imaginaire. Il est aussi important de lui expliquer le déroulement des choses, le temps que va prendre la cérémonie, de lui expliquer pourquoi les gens sont parfois habillés en noir et le déroulement du rituel. C’est comme un voyage, il ne doit pas avoir tout à découvrir et analyser sur place, et cela doit créer des liens pour l’avenir.

Comment l’enfant va-t-il réagir ? L’enfant peut avoir des réactions surprenantes…

Le cimetière n’est pas un lieu inquiétant en soi : l’enfant a déjà pu y aller pendant les vacances pour découvrir des tombes célèbres par exemple. Ce qui peut soulever de l’émotion chez l’enfant, c’est l’émotion des adultes : il faut lui expliquer que l’émotion ressentie par ses parents ou par ses proches n’est pas de la douleur physique, n’est pas de la colère, mais que c’est une émotion d’affection et qu’elle fait du bien. On peut le rassurer sur le fait qu’il n’est pas responsable de cette peine et que cela n’empêche pas la personne qui l’accompagne de bien s’occuper de lui. Les adultes – et y compris les hommes ! – ne doivent pas avoir honte de pleurer, cela ne veut pas dire qu’ils sont soudain fragiles et que l’enfant ne peut plus s’appuyer sur eux. De la même manière, si des personnes -ou lui-même- au cimetière ne montrent pas d’émotion explicite, il est important d’expliquer qu’ils ne sont pas égoïstes, que ce l’on voit de l’extérieur ne témoigne pas forcément de ce qui se passe à l’intérieur. Exprimer beaucoup d’émotions ne veut pas dire qu’on aime plus la personne décédée que ceux qui n’en montrent pas. L’enfant le sait bien que parmi ses copains, certains sont plus émotifs que d’autres.

Que faire si l’enfant ne souhaite pas aller au cimetière ?

Il faut respecter sa demande, en lui disant que c’est son droit, en lui demandant quelles sont les raisons, sans faire pour autant un interrogatoire. Les motifs peuvent être multiples : c’est un lieu qu’il ne connait pas, cela lui fait peur, il a entendu parler des morts-vivants qui sortent des tombes, etc. L’enfant n’a pas forcément d’explication à donner et les parents ne doivent pas le culpabiliser en l’accusant d’égoïsme. Si quelqu’un de proche peut s’occuper de lui pendant que les parents se rendent au cimetière, c’est tant mieux. Les parents peuvent lui dire qu’ils lui raconteront comment se sont passées les choses, l’important est qu’il ne garde pas le sentiment d’avoir été exclu.

Comment peut-on revenir après coup sur la visite ?

Il peut être judicieux de décrypter ce qui s’est passé pour les adultes, en particulier pour les parents, et ce qui s’est passé pour lui. Dire à l’enfant que l’émotion, légitime, n’empêche pas la solidité, lui montrer aussi la solidarité des deux parents, de l’entourage, de la famille plus large. Cette visite lui donne l’idée que la mort, ce n’est pas tout effacer et se retrouver dans le vide absolu. A travers cela, il intériorise aussi le fait que si un jour il meurt, il y aura des gens autour de lui pour l’accompagner, se souvenir de lui, et de la même manière si ses parents meurent, ils ne tomberont pas dans l’oubli.