LE REGARD DE Marie-Rose Georgiou, art-thérapeute, animatrice d’ateliers pour les enfants de proches en fin de vie. Marie-Rose Georgiou exerce à la Clinique de La Toussaint et à l’Institut de Cancérologie Strasbourg Europe.

Une fonction d’exutoire et une fonction symbolique

L’art-thérapie est une démarche créative adaptée aux enfants en situation de deuil. Elle permet de favoriser l’expression de sentiments douloureux qui sont trop difficiles à mettre en mots. À cette fonction d’exutoire s’associe une fonction symbolique de la production qui permet un espace d’expression libre, un espace personnel, intime et protégé d’expression des émotions.

Accompagner l’enfant pendant l’activité artistique, l’aider à mieux comprendre ce qu’il vit, tout en valorisant ses capacités, ses qualités, sa sensibilité

Le travail de l’art-thérapeute consiste à accompagner l’enfant pendant l’activité artistique, à l’aider à mieux comprendre ce qu’il vit, et cela en valorisant ses capacités, ses qualités, sa sensibilité. Dans l’atelier, l’enfant peut donner forme à la matière et par extension à ses ressentis, ses émotions, ses questionnements. La pratique artistique joue un rôle d’intermédiaire et permet à l’enfant de s’exprimer à sa manière. L’enfant est accueilli avec sa créativité, sa singularité, et reconnu dans ce qu’il fait, tel qu’il est, sans jugement ou interprétation de l’œuvre. L’atelier est un lieu d’expérimentation qui facilite la communication. L’enfant peut y trouver la sécurité du cadre et se sentir soutenu par la présence et l’écoute de l’art-thérapeute. Ce cadre, accueillant et enveloppant, permet également de sortir de l’isolement, sans s’exposer, d’être en lien avec les autres qui vivent les mêmes souffrances, et de prendre conscience qu’on peut s’en sortir, ce qui est rassurant.

L’enfant apprend à mieux se connaître et développe son autonomie

En atelier d’art-thérapie, l’enfant apprend à mieux se connaître, il développe son autonomie. Les gestes du faire, actes de peindre, écrire, modeler, coller, s’organiser et mettre en place des idées permettent de nourrir sa confiance et sa personnalité. Une grande variété de matières et de supports ainsi que d’outils divers permettent à l’enfant de faire des choix et de trouver son mode d’expression privilégié, avec lequel il se sent à l’aise (peinture à doigts, aquarelles, acryliques, eau, terre, colles, papiers, cailloux, coquillages, ficelles, jouets, carton, instruments de musique, percussions, bois, tissus, pinceaux, rouleaux, éponges, spatules…). Les arts plastiques ont leur expression propre, et pour explorer les différentes techniques et matériaux, il faut s’autoriser à jouer. Il y a des techniques qui se prêtent spécialement au jeu, comme le collage qui suscite l’imagination.

Le jeu, le plaisir et la bienveillance, aident l’enfant à partager et à créer, à échanger, à transformer ses émotions, à se faire du bien, tout simplement.

Lorsqu’il y a deuil, l’enfant va réagir selon son âge, sa personnalité, les circonstances qui entourent le décès de la personne. Peu importe comment il réagit, il ne faut pas le laisser éloigné de ce qui se passe. Il a lui aussi besoin de vivre son deuil. L’enfant va vivre différentes émotions, tristesse, colère, sentiment d’abandon, peur, culpabilité, déni, ou soulagement.

Adapter les supports à l’âge de l’enfant, et faire en sorte que l’enfant puisse choisir un art avec lequel il se sent libre de s’exprimer

Selon son âge, l’enfant réagit différemment. Il s’agit pour l’art-thérapeute d’adapter les outils, dessin, musique, écriture et autres supports afin que l’enfant puisse choisir un art qui lui plaît et avec lequel il se sent libre de s’exprimer.  Avant 6 ans, l’enfant vit dans un monde imaginaire. Vers 6 ans, il comprend que le corps ne fonctionne plus. Vers 10 ans, il comprend que la mort est irréversible. À l’adolescence, il exige la vérité.

Dans l’art comme dans le jeu, l’enfant peut faire « l’impossible »

Le jeu peut être un moyen pour l’enfant d’extérioriser son chagrin. Les enfants passent beaucoup de temps à jouer. Dans l’art comme dans le jeu, l’enfant peut faire ‘l’impossible’. Il vit et s’exprime avec des images. Pour communiquer avec lui, il nous faut réapprendre le code des images, des symboles. Parmi les autres possibilités d’expression que l’on peut proposer pour rendre visibles les images que l’on a en soi, il existe la marionnette (pour les plus petits, mais aussi pour les plus grands).  En jouant avec la marionnette, l’enfant reproduit des situations qui l’intéresse, l’amuse, l’inquiète ou lui pose question, il lui prête sa voix, l’anime, et l’engage dans des histoires, toutes sortes de représentations. L’atelier marionnette offre à l’enfant un espace et un temps d’expression, de création et de communication exceptionnels, ce qu’il ne peut pas faire pour de vrai, il peut le jouer.

Des spécificités à prendre en compte à l’adolescence

Accompagner un adolescent en deuil, c’est comprendre qu’il fait un travail intérieur qui modifie son identité à jamais et que cela demande du temps. Il est difficile pour lui de se projeter, de penser à l’avenir. L’adolescence est une période de transformation, qui demande beaucoup d’énergie. Les sentiments sont difficiles à mettre mots, il a du mal à demander de l’aide, a tendance à s’isoler.

Augmenter l’estime de soi, le sentiment d’être capable, de stimuler la confiance en soi, en la vie, en les autres

En atelier d’art-thérapie, l’objectif est de soutenir et d’encourager le processus de deuil, de permettre des échanges avec les autres personnes qui l’entourent, la famille, les amis, de l’aider dans ses difficultés relationnelles. Il s’agit également d’augmenter l’estime de soi, le sentiment d’être capable, de stimuler la confiance en soi, en la vie, en les autres. Pour cela, l’adolescent a besoin de vraies réponses et de se sentir en confiance avec le thérapeute qui l’accompagne.

Expérimenter une relation au monde différente

Les ateliers artistiques permettent aux adolescents d’expérimenter une relation au monde différente, de se sentir libre de se mouvoir, de grandir. Les arts plastiques, dessin, peinture, collage etc, mais aussi la musique, sont des outils nécessaires pour contenir son chagrin et sa détresse.

La musique, un moyen d’entrer en résonance avec l’adolescent

La musique en particulier, parce qu’elle a le pouvoir de transporter les émotions est un bon remède. Elle permet d’entrer en résonance, reflète et accompagne l’état psychologique de l’adolescent, elle détend et calme. Souvent les paroles des chansons permettent à l’adolescent de dire les choses parce que lui-même ne trouve pas les mots ajustés, ou alors c’est la mélodie qui l’aide à s’apaiser, parce qu’elle rappelle un beau souvenir, un bon moment, des émotions qui font du bien et permettent de se remettre en lien avec la personne disparue.

Extérioriser des ressentis profonds et avancer dans le processus de deuil

Ainsi, l’atelier d’art-thérapie aide l’enfant ou l’adolescent à transformer des ressentis douloureux en quelque chose de plus acceptable, à évoquer tout ce qu’il n’a pas pu représenter, à extérioriser des ressentis profonds, et à avancer dans le processus du deuil. L’enfant ou l’adolescent peut mettre en acte ses espoirs et ses impulsions, sans crainte des conséquences, il peut jouer un nouveau jeu, expérimenter sans risque car la présence de l’art-thérapeute l’aide à articuler ce qu’il a envie d’exprimer, à surmonter peu à peu la douleur du deuil, à puiser en lui les ressources pour retrouver doucement la joie de vivre, déclencher le processus de la résilience, cette capacité que nous avons tous, à continuer à vivre autrement, positivement, en dépit de l’adversité.

L’émotion, « un outil de survie » pour favoriser une meilleure adaptation à l’évènement, et, in fine, la résilience

Le fait de ressentir des émotions permet de prévenir l’organisme et de mettre en action les mécanismes pour résoudre le ‘problème’. « L’émotion est un outil de survie » nous dit Marie Perrière, art-thérapeute, elle est la réponse corporelle à un évènement permettant une meilleure adaptation.

L’art-thérapie est une activité d’expression qui permet de partager des émotions. Le fait de pouvoir partager son histoire, ses émotions, est une condition essentielle de la résilience.