Dans le chemin de deuil, le processus d’intériorisation et de représentation est important. Le passage par des photos permet de faire le lien avec les représentations mentales et d’aider dans le processus de deuil. De nombreux jeunes endeuillés gardent d’ailleurs un album à soi, intime, qu’ils peuvent consulter lorsqu’ils le souhaitent. Ils savent que sa présence est rassurante, dans un endroit qu’eux seuls connaissent. Ces photographies peuvent aussi avoir pour fonction d’annuler les dernières images, qui sont parfois celles de la maladie. Elles vont alors permettre de se rappeler qu’il y a eu autre chose. Alors que l’effet traumatique du deuil commence à se dissiper, elles peuvent aider à donner d’autres visions, d’autres images du proche défunt.

LE REGARD DE Martine Piton, Présidente de Vivre Son Deuil Poitou-Charentes, sur l’appropriation par les jeunes endeuillés de la photographie et sur l’utilisation du Photolangage‌® dans le deuil pour aider les groupes de personnes endeuillées à cheminer.

La photo, support pour remédier à l’absence

Le deuil, par essence, c’est l’absence, or ce qui peut être difficile, notamment pour un jeune orphelin, c’est de ne pas pouvoir présenter à la personne qu’il aime, à ses enfants, à ses proches, son parent disparu. La photographie permet à cet égard de garder quelque chose de vivant de la personne, et peut aider l’enfant à parler du proche défunt. C’est parfois un réel besoin pour eux, ce que l’on peut notamment observer dans certains groupes de parole.

Garder quelque chose de réel, de vivant, de la présence de l’autre

L’enfant choisit souvent la ou les photos qu’il veut garder (ou partager, dans le cadre d’un groupe de parole) et il invente ses propres petits rituels : par exemple, il les conserve dans sa table de nuit et les ressort le soir ou la nuit, ou à un moment de grande émotion, parfois avec une bougie allumée devant la photo. Cela le soulage beaucoup du poids, du risque qu’il ressent parfois d’oublier la personne, et surtout de ne pouvoir la présenter, de la peur qu’elle ne représente rien pour les autres.

La photo fait émerger des représentations internes en lien avec des émotions, des sensations ou expériences vécues

Des méthodes sont également venues explorer l’impact que pouvait avoir l’utilisation de photographies en groupe. Le photolangage®utilisé dans le cheminement du deuil est une marque déposée et développée avec Claire Bélisle qui se révèle particulièrement utile dans l’expression des émotions lors d’un deuil. Cela repose sur deux choses fondamentales : comprendre l’impact de la photo, et le cadre de l’intervention.

La photo va permettre de faire émerger des représentations internes en lien avec des émotions, des sensations ou expériences vécues ; en sachant que les représentations mentales sont ce qui nous font aborder la réalité. Quand on est en deuil : on est figé et il y a un vécu d’incommunicabilité. La photo va favoriser l’expression de ce qui est peut être méconnu en soi, relégué dans l’ombre : images, sentiments, émotions, expériences. Il est important que les photos choisies aient une capacité suggestive par rapport à ce que vivent les personnes en deuil. Les dérives seraient une simplification de la méthode sans objectif ou l’utilisation de photos banales sans intérêt artistique.

La photographie, un support de médiation pour favoriser l’émergence de mots et d’émotions dans un groupe de parole

Effectivement, les photos sont choisies non seulement parce qu’elles sont belles mais aussi parce qu’elles sont en lien avec ce que chacun vit dans le deuil, principalement par rapport à la violence physique, psychique et sociale vécues dans l’expérience du deuil La photo permet de mettre en représentation des expériences personnelles, des émotions par rapport à un vécu et permet de les exprimer avec des mots. Un simple groupe de parole ne permet pas l’émergence d’autant de mots et d’émotions sur le vécu du deuil, ni aussi rapidement, se servir de photos comme support est donc particulièrement intéressant.

Favoriser une alchimie par l’écoute au niveau des représentations

Le cadre dans lequel on utilise le photolangage® est lui aussi primordial. Outre l’impact de la photo et ce que cela va évoquer en nous, l’important c’est le cadre dans lequel on utilise la méthode. Il ne s’utilise pas dans un cadre individuel mais en groupe. Chacun va mettre des mots pour les autres, et ces mots vont éclairer nos propres représentations internes mais aussi celles des autres. Il y a une alchimie par l’écoute au niveau des représentations. La photographie sollicite un échange intrapsychique et aussi intersubjectif : elle est médiation à la réflexion, l’accès aux représentations personnelles, à la prise de parole et aux échanges dans le groupe.

De l’importance de consignes, pour canaliser l’approche, l’expression et l’écoute

Le cadre est donc le groupe mais aussi l’objectif de chaque séance, ainsi que le rôle de l’animateur. Nous avons choisi cinq grands objectifs dans l’accompagnement des personnes endeuillées, et pour chaque objectif élaboré des consignes particulières, des « tâches » Par exemple, l’objectif sous la forme de la question “quelle est la photo qui vous permet d’exprimer au mieux la souffrance que vous ressentez aujourd’hui ?” pousse à l’introspection. Cette consigne est importante parce qu’elle permet de canaliser l’approche, l’expression et l’écoute. L’objectif c’est l’horizon que l’on met à la séance ; il est choisi en fonction du groupe, de où il en est par rapport au chemin du deuil, du type de deuil et de l’âge des participants.

Choisir des photographies plus concrètes que symboliques pour les enfants

Ce qui change légèrement avec les enfants, c’est la question des représentations. Beaucoup de photos sont symboliques, il faut donc choisir des photos plus concrètes pour les enfants et ainsi être plus en lien avec la manière dont ils se représentent le deuil.

Un éventail de photographies réajusté au fil du temps

Le choix de photos résulte d’un travail fait sur 2 ans par une petite équipe de bénévoles et de professionnels, sous la direction de Claire Bélisle, conceptrice de la méthode. Travail de réflexion puis évaluation dans des groupes en formation sur le deuil ou groupes de personnes endeuillés, ce qui nous a permis de sélectionner les photos les plus intéressantes. Chaque personne du groupe d’endeuillés a aussi la possibilité de suggérer un manque, ou quelle photo elle aurait souhaité. Ceci nous permettra de réajuster l’éventail des photos.

Un tremplin vers l’introspection et l’expression, dans un cadre contenant

Finalement donc, les photos font gagner du temps à l’émotion qui surgit beaucoup plus vite que s’il y avait juste eu des mots ; c’est un véritable support qui agit comme un tremplin vers l’introspection et l’expression, encouragées aussi par le cadre contenant : la consigne donnée et l’objectif. L’impact est un élargissement du champ de conscience et le sentiment de ne pas vivre seul son chemin de deuil.