Si la mort est un phénomène tout à fait universel, son interprétation, les rites qui y sont associés, le vécu de la période de deuil sont largement influencés par le contexte social et culturel. On connait certaines traditions, comme par exemple le Día de Muertos, ce culte des morts célébré chaque année au Mexique. Mais plus largement, quels sont les grands invariants du rapport à la mort selon les sociétés ? Comment appréhender cette nécessaire interculturalité ?

L’éclairage de Claire Mestre, psychiatre-psychothérapeute, anthropologue, responsable de la consultation transculturelle au CHU de Bordeaux (association Ethnotopies), co-rédactrice en chef de la revue L’autre, cliniques, cultures et sociétés, et d’Aicha Lkhadir, anthropologue et psychologue clinicienne au CHU de Bordeaux et co-fondatrice de l’association Alizé (Agen).

 

La contamination par la mort, une des représentations les plus universelles

Dans toutes les sociétés, on protège les enfants de la mort, même si, dans certaines cultures, ils peuvent être associés aux rituels funéraires. En effet, une des représentations les plus universelles est la contamination par la mort, et particulièrement pour les plus vulnérables et les plus faibles.

Une socialisation par rapport à la mort très variable selon les cultures et les sociétés

Cependant, pour les enfants jeunes et moins jeunes, l’annonce de la mort est un temps exceptionnel où ils vont être les témoins du traitement du mort et de la conception de la mort. Ainsi la socialisation des enfants par rapport à la mort est très variable, selon les cultures et les sociétés, mais aussi selon le contexte et le rang de la personne décédée.
Pour un enfant, un grand-parent qui meurt dans un contexte d’apaisement, n’est pas équivalent à la mort d’autrui dans un contexte de guerre.

La compréhension de ce qu’est la mort dépend, pour tous les enfants, quelque soit leur origine, de leur maturité psychologique et de la façon dont les adultes vont répondre à leurs questions. Elle est séparation définitive, d’autant plus douloureuse qu’elle concerne un être proche. La façon dont le cadavre sera ritualisé, et comment un récit sur l’au-delà de la mort va être dit dépendent étroitement de la culture, comprenant les aspects religieux et les croyances.

Un apprentissage de la ritualisation de la mort qui peut commencer dès l’enfance

L’apprentissage de la ritualisation de la mort peut commencer dans l’enfance. Le jeune va être le témoin des gestes, il pourra être accompagné dans la découverte du cadavre qui n’est jamais un reste, mais un autre, un mystère. Les rituels de funérailles, les récits entendus, les prières, les précautions, mais aussi les façons d’exprimer le chagrin (par des pleurs bruyants ou au contraire par le silence) seront une façon de le faire entrer dans une culture, métissée (un peu d’ici, un peu d’ailleurs) et un apprentissage du religieux (avec ou sans un dieu). Les adultes seront là pour l’initier à histoire qui fait de la mort, non pas le vide et le néant, mais l’entrée dans un autre monde, même s’il se réduit au souvenir en Occident.

Les adultes, initiateurs à une culture dans un moment d’exceptionnalité

La responsabilité des adultes à l’égard des enfants est celle d’initiateurs à une culture dans un moment d’exceptionnalité. Les effets de cette initiation sont certes incertains car nul ne sait combien le temps du deuil peut durer. Néanmoins, la ritualisation permet d’accompagner ce temps psychique, et de lui donner des repères. Elle fait de l’enfant un être de culture en devenir.

La mort, bien souvent un passage plus que le néant

C’est quoi la mort ? Où est le mort maintenant ? Ces questions essentielles que l’enfant posera, s’il se sent autorisé à le faire, sont habitées par la conviction des adultes. Bien sûr, l’enfant pourra plus grand se construire contre les certitudes de ses parents, mais le moment de la mort est une étape essentielle d’éducation à une culture. Dans nombre de cultures, la mort n’est en effet pas le néant, c’est un passage. Les rituels sont effectués pour éloigner les morts des vivants, mais le lien entre morts et vivants n’est pas rompu. Le mort peut être sur le chemin du paradis, il peut devenir un ancêtre respecté, et des signes peuvent être interprétés comme venant de l’au-delà, comme le rêve. Nombre de cultures donnent de l’importance aux rêves figurant des disparus.

Cet apprentissage de la mort peut commencer très tôt : ainsi l’exemple de cet échange des enfants autour de la mort observé au Maroc au moment de l’accompagnement du défunt au cimetière. Une petite fille imitait les adultes en pleurant son grand-père, son frère de 5 ans la consolait en lui disant : « …pas bien de pleurer, tes larmes vont le brûler, il nous écoute, il nous voit mais ne pourra pas nous répondre, il va être avec Dieu mais veillera toujours sur nous ».

Sans adulte pour les initier au mystère de la mort, les jeunes sont en danger psychique

Un jeune, sans adulte pour l’initier au mystère de la mort, est en danger psychique. Il est déjà difficile pour un adulte d’être seul devant la mort d’autrui. Ainsi, les migrants qui apprennent la mort d’un des leurs restés au pays, sont d’autant plus bouleversés qu’ils ne peuvent participer aux funérailles. Mais le plus souvent, ils connaissent les gestes qui manquent. Ils pourront trouver des substituts aux gestes traditionnels : faire une prière à l’église ou au temple, envoyer de l’argent pour un sacrifice.

Un jeune peut aussi avoir suffisamment de maturité pour pratiquer dans l’exil des gestes indispensables à la ritualisation de la mort. Ainsi ce jeune mineur sierra léonais, musulman, dont le père avait été assassiné pendant la guerre et qui, à l’anniversaire de sa mort, a pu réaliser dans la migration un sacrifice grâce à la bienveillance des éducateurs du foyer.

L’importance de recueillir le récit de vie du défunt 

Il faudra toujours rechercher l’adulte qui pourra initier un jeune endeuillé à la culture et à la religion de ses parents. C’est une obligation pour ne pas le laisser dans le néant et l’absurdité. Recueillir un récit de vie si possible qui lui sera restitué : qui était le défunt ? Comment a-t-il vécu ? Quelle était sa religion ? Comment son cadavre t-il été traité : enterré ? Crématisé ? Comment ? A-t-il laissé des objets ? Des mots ? Autant de paroles et d’histoires qui permettront à l’enfant de faire du mort non un fantôme, mais une existence et une histoire. Le jeune sera inscrit dans un univers de sens religieux et culturel.