Quand la mort entre à l’école et touche un ou plusieurs membres de la communauté scolaire, organiser des rituels au sein de la classe ou de l’établissement peut se révéler aidant pour traverser l’épreuve. Les rites ont comme mission d’apaiser, de sécuriser et de réconforter. Il ne s’agit pas de protocoliser des réactions de deuil, mais de permettre aux élèves et aux enseignants de mieux appréhender la séparation, d’exprimer des émotions et de renforcer la cohésion du groupe.

L’éclairage de Christine Fawer Caputo, docteure en sciences de l’éducation, professeure associée à la Haute Ecole Pédagogique de Vaud (Suisse), spécialisée dans l’éducation à la perte et dans l’accompagnement du deuil à l’école. Co-auteure de La mort à l’école: annoncer, accueillir, accompagner (De Boeck Supérieur, 2015).

 

Les trois fonctions des rites à l’école pour accompagner la mort

A l’image des rites funéraires dans la société civile, les rituels que la communauté éducative peut mettre en place, pour soutenir ses membres affectés, vont remplir trois principales fonctions :

  • Un temps de séparation, à travers une cérémonie ou des hommages ;
  • La possibilité d’exprimer ses émotions dans un cadre contenant ;
  • Un renforcement des liens dans le groupe endeuillé.

Rituels pour accompagner un-e élève endeuillé-e

Quand un jeune perd un proche significatif (un parent, un membre de la fratrie, etc.), les élèves de sa classe ainsi que ses professeurs peuvent exprimer leur sympathie au moyen d’une lettre commune ou de messages individuels qu’on remettra à l’élève endeuillé avant son retour en classe – si possible – ou que l’on déposera sur sa table. L’enseignant peut laisser une boîte dans un coin de la classe, dans laquelle les enfants ou les adolescents peuvent glisser leurs petits mots, leurs dessins ou tout ce qui fera sens pour eux. Ce type d’attention permet aux élèves non seulement de manifester leur solidarité envers leur camarade, mais aussi d’exprimer leurs émotions, car il peut être douloureux de s’imaginer à la place de celui qui perd un parent. Ces marques de soutien sont généralement très appréciées tant par le jeune endeuillé qui les reçoit que par la famille.

Un autre type de soutien consiste à se rendre aux funérailles : que ce soient des enseignants, des membres de la direction ou – en fonction des situations – des élèves de la classe, cette présence est généralement appréciée. Mais il s’agira préalablement de s’informer auprès de l’élève endeuillé et de sa famille si la venue de membres de l’école est souhaitée… ou pas.

Rituels pour accompagner une classe

Si c’est un élève qui décède, par maladie ou accident, c’est toute la classe qu’il s’agit d’accompagner. L’équipe éducative peut alors mettre en place un certain nombre d’actions aidantes :

  • Rendre hommage au camarade décédé par la mise à disposition d’un livre/cahier dans lequel les élèves peuvent exprimer leurs émotions, leurs pensées, partager des souvenirs, faire des dessins mais aussi exprimer leur soutien aux membres de son entourage, parfois des frères ou sœurs qu’ils connaissent aussi. Ce livre-hommage est déposé dans un coin de la classe ou sur le pupitre de l’élève défunt, accompagné – ou pas – d’une de ses photos. Durant quelques jours, les élèves devraient avoir la liberté de s’y rendre quand ils en sentent le besoin et non sur commande. Ensuite, on remettra le livre à la famille comme témoignage de condoléances, ou on peut le déposer symboliquement sur la tombe, uniquement avec les élèves qui le souhaitent.
  • « Pour accepter la réalité de la mort, l’enfant a besoin de participer aux derniers moments, de dire au revoir au défunt et d’être dans les funérailles »[1]. Assister à la cérémonie d’adieu est une bonne manière pour les élèves de réaliser la réalité et l’irréversibilité de la perte. Mais avant de s’y rendre, il est nécessaire d’obtenir l’autorisation parentale des élèves, mais aussi de vérifier si la famille du défunt souhaite la présence de ses camarades : même si, généralement, les parents sont touchés par ce type d’hommage, il est aussi possible qu’ils préfèrent vivre une cérémonie dans l’intimité. En accord avec la famille, les enseignants peuvent organiser une petite action avec les élèves : glisser des dessins ou des objets symboliques dans le cercueil, ou déposer des bougies tout autour. Il arrive même que certains parents choisissent des cercueils blancs sur lesquels les enfants peuvent dessiner. Soulignons toutefois que les enseignants peuvent se sentir extrêmement affectés par le décès d’un de leurs élèves avec qui ils avaient tissé un lien dans la durée. Afin que, ce jour-là, ils puissent vivre pleinement ce moment de séparation, l’idéal consisterait à ce que l’encadrement des élèves soit effectué par leurs parents ou d’autres enseignants moins affectés.
  • Les affaires de l’enfant décédé appartiennent normalement à la famille, mais il n’est pas facile pour les parents de venir rapidement les chercher. Pour autant, les laisser sur la table oblige les élèves à penser constamment au disparu. Une fois les hommages ci-dessus rendus, le plus judicieux est de les enlever et de les mettre de côté en attendant la venue des parents. Pour éviter qu’un élève ait la sensation de s’asseoir « à la place du mort », il faudrait aussi déplacer toutes les tables dans la classe et redonner une place à chaque élève de manière aléatoire.

Rituels pour accompagner un établissement

Parfois le décès est si particulier qu’il va secouer tout l’établissement : si un élève est mort de manière singulièrement tragique (meurtre, suicide, accident violent) ; s’il y a eu plusieurs morts simultanément, dans un accident de transport par exemple ; ou si c’est un professeur ou le directeur qui décède subitement. Pour ramener au plus vite un climat de sérénité, diverses actions rituelles peuvent être proposées à la communauté scolaire :

  • Identifier un endroit accessible par tous les membres de la communauté (corps professoral, membres des unités administratives et techniques, élèves, etc.), où l’on déposera un livre d’hommages, et où chacun aura l’occasion de s’exprimer.
  • Autoriser la mise en place – souvent spontanée -, dans l’enceinte scolaire ou à proximité, d’autels sur lesquels tout un chacun peut y déposer des photographies du/des disparu(s), des poèmes, des dessins, des fleurs, des bougies, etc.
  • Accompagner et superviser certaines initiatives des élèves, telle une marche blanche, parfois proposée par les adolescents.
  • Donner la possibilité à tous de se rendre aux funérailles sans pour autant fermer l’établissement ce jour-là, afin d’assurer une prise en charge pour les élèves qui souhaitent y rester. Si les funérailles ont lieu dans l’intimité – ce qui ne permet pas de prendre congé officiellement du mort -, organiser une cérémonie parallèle dans le cadre de l’établissement : par exemple, mettre en place un moment de recueillement et de discours, autour de photos du/des défunt(s) posées sur un chevalet, éventuellement entouré de fleurs et de bougies ; jouer un morceau de musique ; lire quelques textes ; raconter quelques anecdotes sur le/les disparu(s) ; lâcher des ballons (dégradables) ; etc.

Des propositions, et non des injonctions, pour aider l’École à signifier la mort d’un des siens ou à soutenir un de ses membres touché par le deuil

Ces quelques idées d’actions rituelles ne doivent pas être comprises comme des injonctions, mais plutôt comme des propositions pour aider l’École à signifier la mort d’un des siens ou à soutenir un de ses membres touché par le deuil. Pour autant, il convient de rappeler que l’école doit rester un lieu de vie et un endroit de passage, dans lequel les élèves et les enseignants ne restent que quelques années. Il faudrait donc éviter que cet espace ne devienne un « lieu de mort » en laissant des traces pérennes sous le coup de l’émotion : comme planter des arbres, peindre les portraits des disparus sur les murs ou apposer des plaques commémoratives.

[1] Hanus, M. (2001). La mort et le deuil en contexte scolaire. Frontières : La mort au tableau noir, vol. 13, n°1, 36-39.