Alors que la société contemporaine est marquée par un culte prégnant du jeunisme, que l’institutionnalisation comme la mort à l’hôpital contribue à invisibiler les aînés, comment les jeunes se représentent-ils la vieillesse ? Au-delà des craintes, largement infondées, sur une prétendue « guerre des générations », que dit leur conception de la vieillesse de leur rapport à autrui et au monde ?

L’éclairage de Cynthia Mauro, psychologue, docteure en psychologie, exerçant à l’Unité de Soins Palliatifs de Saint Vincent de Paul (Lille) et membre du Centre International des Etudes sur la Mort (CIEM).

 

 

La curiosité des enfants au sujet de la mort, une étape sensible et normale de son développement psychique

Sans forcément y être directement confronté, l’enfant est naturellement préoccupé par la mort. Il s’interroge et nous interroge : « C’est comment quand on est mort ? », « On va où quand on est mort ? », « On ira tous au Paradis ? », « On meurt quand on est vieux ? », « Qui est vieux dans la famille ? », « Pourquoi doit-on mourir ? », etc.

La curiosité des enfants au sujet de la mort est un fait, une étape sensible et normale de son développement psychique, émotionnel, cognitif qui témoigne avant tout de sa recherche de compréhension du fonctionnement du monde qui l’entoure. Tendons l’oreille, et nous réaliserons qu’elle est un sujet assez fréquent de partages dans la cour de récréation. Car c’est bien dans les interactions sociales que l’enfant va aussi pouvoir tenter d’élucider le mystère, et nourrir son besoin de mise en sens de ce qu’il voit, vit et entend.

Des représentations de la mort qui se forgent très tôt dans l’enfance

Quoi qu’on en dise, la mort fait belle et bien partie de leur vie ; de leur  vie littéraire (histoires), cinématographique (dessins animés), numérique (jeux vidéos) et encore plus ces derniers mois,  car les enfants ne sont pas étrangers à la situation sanitaire et la pandémie de COVID-19 qui mobilise l’attention, le discours, bouleverse nos rythmes de vie au quotidien et colore bien différemment notre rapport à l’existence, à la santé, à la sécurité, à la maladie, à la fragilité, et à la vieillesse.

Nous savons aujourd’hui que les représentations de la mort se forgent très tôt dans l’enfance par le biais de l’éducation, de la culture, des valeurs familiales transmises, des expériences sensorielles et émotionnelles quotidiennes, et du contexte sociétal.

Une compréhension progressive du continuum de la vie : grandir implique de vieillir, et donc de mourir un jour

Assez naturellement, l’enfant assimile la notion du cycle de la vie : on naît, on grandit, on vieillit, et on meurt. L’acquisition du concept de mort lui dépendra avant tout de l’âge, du développement cognitif, de l’histoire de l’enfant, et de sa maturité affective. Il évoluera d’une pensée magique où la mort n’est pas encore comprise comme universelle et définitive (entre 2 et 5 ans) à une intégration de son caractère irréversible, et de sa dimension biologique (les fonctions vitales du défunt sont arrêtées) entre 5 et 7 ans. Grâce à une motricité accrue, il part à la découverte du monde, et perçoit que le fait de grandir est accompagné du fait de vieillir et donc de mourir un jour. Il expérimente l’absence et le vécu du manque.

C’est généralement, et approximativement aux alentours de 7 ans que l’enfant élabore le caractère définitif de la mort (les personnes mortes ne reviennent pas). Il craint sa contagiosité, s’inquiète du « bien-être » de la personne défunte, du devenir de son corps, et interroge les rites funéraires. Son chagrin s’exprime singulièrement, et s’inscrit dans une temporalité bien différente de celle de l’adulte. Plus les années passeront, plus il sera en capacité de nommer ses émotions, ses peurs, et ses besoins. Il va s’autonomiser, être capable de déductions, créer de nouveaux liens avec un groupe de pairs, expérimenter les séparations, les pertes, les ruptures et prendre conscience que sa propre mort est envisageable.

Dans la période contemporaine, l’institutionnalisation opère une distanciation physique et donc vivantielle

Pendant longtemps, la vie familiale était rythmée par les naissances, la prise en soin des plus âgés, et les morts. Tout se passait à la maison et les enfants étaient présents : ils savaient quand un enfant naissait, quand un parent vieillissait, s’altérait et avait besoin d’être aidé, mais aussi quand quelqu’un mourrait. Il avait cette qualité de témoin, mais aussi d’acteur à part entière dans la cohésion familiale et la dynamique intergénérationnelle. Comment peut-il alors aujourd’hui se saisir de ces étapes cruciales de la vie, les rendre intelligibles alors même que l’institutionnalisation opère une distanciation physique et donc vivantielle[1] : l’hôpital quand on naît, quand on est malade, la maison de retraite quand on est vieux, le salon funéraire quand on est mort ?

Une perception du vieillissement largement conditionnée par la qualité des rapports entre les enfants et leurs grands-parents

Une étude, publiée dans la revue médicale Child Developement et réalisée auprès de plus de 1000 enfants âgés de 7 à 16 ans, met en évidence que la perception du vieillissement est largement conditionnée par la qualité des rapports entre les enfants et leurs grands-parents. Les résultats mettent en perspective que les stéréotypes sur le vieillissement fluctuent avec l’âge, la bonne/mauvaise santé de leurs grands-parents et surtout la fréquence des moments partagés et la force affective du lien d’attachement.

Alors même que les grands-parents sont de plus en plus en responsabilité de la garde de leurs petits-enfants du fait de l’évolution du mode de vie et des contraintes professionnelles parentales, leur présence et leur proximité affective tendent à jouer un rôle prépondérant sur les représentations et la construction des stéréotypes liés au vieillissement. Les normes véhiculées par les sociétés, les époques et les cultures contrastent donc bien avec la dimension expérientielle de l’enfant.

Une vieillesse généralement associée au grand âge et par extension à l’inexorable finitude, au dernier temps de vie d’une vie

« Quand on est vieux, c’est quand on va bientôt mourir » nous dit Gabrielle, 9 ans. « Le « vieux », on le reconnait facilement : il a les cheveux blancs, des rides, il a moins de force, il faut l’aider pour traverser la route ou lui donner sa place dans le bus, il a fait la guerre, il a « plus de 80 ans », il a une odeur spéciale, il fait des drôles de bisous qui claquent sur la joue et il raconte plein de souvenirs amusants sur toute la famille » complétera-t-elle.

L’enfant, selon son développement, ses possibles d’élaborations, son vécu, ses réflexions intérieures, va alors décrire la vieillesse selon des paramètres différents, allant de caractéristiques physiques distinctives à une définition de sa fonction sociale et identitaire. Mais dans la majeure partie des cas, il associera toujours la vieillesse au grand âge et par extension à l’inexorable finitude, au dernier temps de vie d’une vie avant que le corps ne meurt avec un ton assuré d’une évidence chronologique.

[1] Le terme « vivantielle », hérité de la sophrologie caycédienne, décrit la dimension du vécu incarné et sensoriel.