L’impact de la mort périnatale sur la famille, le couple, la fratrie, a souvent été négligé. Il n’en reste pas moins réel et les questions de ritualiser autour de l’enfant décédé trouvent des réponses dans les traces mémorielles.

 

L’éclairage du Dr Pierre Bétrémieux, pédiatre, service de Néonatologie, Centre hospitalier universitaire de Rennes.

 

 

 

Définition et occurrence

La période périnatale stricto sensu comprend le 3ème trimestre de la grossesse et les sept premiers jours voire le 1er mois de vie du nouveau-né. La mortalité périnatale inclut donc la mortalité fœtale du 3ème trimestre, représentée par la mort fœtale in utero, les interruptions médicales de grossesse (IMG) du 3ème trimestre, le plus souvent pour malformation grave du fœtus et les nouveau-nés qui meurent pendant le premier mois de vie, à la suite de malformations intraitables, de maladies et surtout des complications de la prématurité (naissance avant 37 semaines).

Du fait qu’un certain nombre de ces situations se prolongent au-delà du premier mois de vie et que l’aide à apporter aux familles est assez similaire par la suite, on peut inclure les morts de la première année dans le concept de mortalité périnatale, ce qui représente environ 10 000 familles par an frappées par la mort « périnatale au sens large » en France (DREES 2021).

Il faut souligner que, même si des concepts identiques sont mis à l’œuvre dans les différentes circonstances du deuil périnatal, chaque groupe de situations donne sa teinte particulière au cheminement des parents, de la fratrie, et des équipes.

Retentissement sur le couple et la fratrie

De nombreux ouvrages traitent de ce sujet, par exemple le livre Deuil en maternité.

Tous les auteurs s’accordent sur le fait que la mère exprime de la culpabilité face à la mort d’un nouveau-né. Même s’il est très rare que le comportement maternel ait pour conséquence la mort du bébé, c’est ce que ressentent beaucoup de mères et cela va impacter leur deuil et la façon dont elles en parlent à leur entourage, en particulier, aux enfants aînés. De plus, la communication dans le couple est difficile. Si le deuil des parents est reconnu depuis longtemps, c’est plus récemment qu’a été prise en compte la souffrance de la fratrie. Les frères et sœurs sont eux aussi en deuil. En fonction des circonstances de la mort et de l’âge des enfants, l’accompagnement à mettre en place peut être assez différent.

La mort d’un fœtus in utero est un événement d’autant plus violent qu’il est inattendu. C’est dans cette situation que la culpabilité maternelle est le plus ouvertement exprimée. Les parents et la fratrie sont confrontés à l’extinction brutale d’un rêve de naissance et c’est très difficile à vivre.

Dans les situations d’interruption médicale de grossesse pour malformation fœtale, la situation est souvent compliquée par la crainte d’un risque de récurrence non seulement lors des grossesses suivantes éventuelles mais aussi lors des grossesses qui pourront survenir dans la descendance (les enfants des frères et sœurs), des décennies plus tard.

Dans les situations où l’enfant est décédé après une période de vie extra-utérine qui a permis la rencontre et la « naissance sociale », c’est-à-dire le fait d’avoir été vu et reconnu par l’entourage familial, des paroles ont pu être dites autour de l’enfant vivant : ce sera d’un grand secours dans le temps du deuil. C’est pourquoi il est essentiel que les soignants s’organisent pour favoriser la rencontre urgente de la fratrie et de la famille élargie avec l’enfant vivant.

Comment en parler à l’enfant et à l’adolescent

L’accompagnement des parents et de la fratrie en deuil se construit au cas par cas sans « recette universelle ». On ne parlera pas de la même façon à un enfant de quelques années et à un adolescent.

A tous les âges, il est fondamental que soit annoncée la mort de l’enfant avec une explication simple sur la cause de la mort ; ceci peut être fait par les parents ou un professionnel. Les enfants sont tristes de la perte du petit frère ou de la petite sœur et aussi de voir leurs parents tristes. Il est important d’énoncer qu’il est normal d’être malheureux et de pleurer dans ces situations et que ce n’est pas utile de s’en cacher en famille.

Les enfants n’ayant pas atteint l’âge de la parole (avant 2 ans environ) doivent recevoir des explications simples. Le suivi évolutif sera couplé à celui de la mère car c’est par elle que passera la verbalisation des affects éprouvés. A cet âge en cas de difficulté, des changements de comportement (insomnies, cauchemars, agressivité en particulier à l’école, fléchissement scolaire, etc.) peuvent apparaître et peuvent nécessiter une prise en charge spécialisée par un professionnel (pédopsychiatre, psychologue ou pédiatre) et il est souhaitable que les parents et les enseignants en soient informés. Le petit enfant encore à l’âge de la « pensée magique » (jusqu’à 6 ans environ), peut lui aussi se sentir coupable de ce qui est arrivé. Les entretiens que l’on aura avec l’enfant et sa mère devront tenir compte de cette culpabilité sous-jacente.

C’est souvent autour de cette difficulté des parents, se demandant quels mots dire à l’enfant, que peut se nouer une alliance avec un professionnel. Il pourra les aider à la fois à expliquer la situation aux enfants mais aussi à répondre à leurs propres questions : les parents qui consultent « pour l’enfant » bénéficieront donc eux aussi de ce travail.

Si l’aide d’un professionnel est difficile à demander pour les parents en cette période de deuil, des associations nationales ou locales d’aide au deuil périnatal peuvent les accompagner, ainsi que leurs enfants, dans la durée.

Rencontrer l’enfant décédé

Il y a un débat dans les maternités sur l’opportunité d’organiser une rencontre de la fratrie avec l’enfant décédé. Il n’y a pas de réponse toute faite convenant à l’ensemble des situations. La prise en compte de l’opinion des parents sur cette problématique est essentielle car la médiation parentale est très importante dans cette rencontre. L’aspect de l’enfant décédé est aussi à prendre en considération, non pas pour « accepter » ou « refuser » que la fratrie le voie, mais pour aménager cette rencontre en fonction de la visibilité de la malformation, ou de l’état du corps. D’expérience, lorsqu’on y travaille soigneusement, une rencontre – au moins partielle –, est, la plupart du temps possible et ses effets sont positifs pour les parents comme pour la fratrie. Beaucoup d’équipes néanmoins sont réticentes à organiser cette rencontre avec les tout-petits enfants n’ayant pas encore atteint l’âge de la parole car il est très difficile d’évaluer l’impact de cette rencontre sur leur psychisme.

Ritualiser

Lors de cette rencontre (ou de ces rencontres si les parents souhaitent les répéter), il peut être intéressant d’organiser un rituel d’adieu qui restera en mémoire et viendra consoler pendant le temps du deuil. Ce rituel pourra comporter des paroles mais aussi des objets, des écrits ou des dessins qui accompagneront l’enfant au funérarium, montrant ainsi que c’est bien un être humain cher que l’on perd et pour lequel on a des gestes spécifiques.

En maternité et néonatalogie, l’importance et le rôle des traces mémorielles

Dans la plupart des services de maternité et néonatalogie, on conserve des traces du passage de l’enfant en salle de naissance ou dans le service : photographies, petit bonnet, empreintes des pieds ou des mains, tracé d’enregistrement du cœur… Les souhaits des parents sont variés et les habitudes des équipes également, de sorte qu’il n’est pas possible, ni souhaitable de dresser une liste exhaustive de ce que l’on peut collecter. Ces traces auront pour rôle de venir rappeler la réalité de la naissance quand, dans le temps du deuil, surviendra la crainte d’oublier, tant chez les parents que dans la fratrie. Il est habituel aujourd’hui que les parents quittent le service avec ces quelques souvenirs. Si la fratrie n’a pas pu ou pas voulu voir le corps du défunt, ces traces pourront les aider à appréhender une part de la réalité du bébé et seront aussi un substrat pour reparler de lui, car le temps du deuil est un temps de mémoire.