La scolarisation d’un enfant identifié comme étant « en soins palliatifs » peut tout à fait questionner. En effet, celle-ci prend sens pour l’enfant et sa famille, mais qu’en est-il pour les autres ? A différents niveaux, l’Education nationale, l’établissement, la classe, les familles participent à la scolarité de l’enfant. Le directeur, le corps enseignant, les enfants de la classe et leurs familles peuvent de fait être sensibilisés à la question de la scolarité de l’enfant malade. Il importe ainsi qu’une libre parole existe autour de ce projet de scolarisation.

L’éclairage de Dr Nadine Cojean, pédiatre coordinateur de l’Equipe Ressource Alsacienne de Soins Palliatifs Pédiatriques (Strasbourg), Nadine Robert, infirmière coordinatrice, et Camille Reichling, psychologue de l’Equipe Ressource Régionale en Soins Palliatifs Pédiatriques de PACA Ouest (Marseille).

Co-construire un projet entre le désir de l’enfant, sa famille et l’école.

La situation de chaque enfant étant singulière (son âge, sa pathologie, le possible handicap, son parcours scolaire, sa place dans la fratrie, sa personnalité, son rapport à l’école et aux savoirs, ses relations sociales, amicales et familiales, etc.), chaque projet de scolarisation ou de poursuite de scolarisation demeure unique. La demande de l’enfant, ses besoins, ainsi que ses désirs concernant l’école doivent être au cœur du projet. Il importe également de prendre en considération les interrogations et les craintes des enseignants, et plus largement celles du personnel des établissements scolaires, ainsi que les attentes et autres souhaits de parents. Il s’agit ainsi d’une co-construction de ce projet entre désir de l’enfant, sa famille et l’école.

De la nécessité d’accompagner l’enseignant face à une situation qui peut être éprouvante

L’enseignant qui va accueillir l’enfant dans sa classe doit pouvoir, s’il le souhaite, être accompagné. L’irruption d’une maladie, entraînant un risque vital chez un élève, peut éprouver l’enseignant. Les collègues, la hiérarchie, la médecine scolaire ou l’ERRSPP peuvent être un appui s’il en éprouve le besoin. Il doit également pouvoir obtenir les informations médicales (dans le respect du secret médical) qui lui sont nécessaires pour aménager l’accueil de l’enfant sans le mettre en danger ou perturber la vie de la classe. Une fois en classe, avec l’élève et le reste de la classe, l’enseignant se retrouve le plus souvent seul à gérer l’ensemble. Il est nécessaire de se questionner sur sa posture.

Des savoirs faire pour des savoirs être

Se questionner sur ce qu’on met en place au quotidien auprès des élèves permet d’adopter une position juste au plus près des attentes de l’Education nationale, de la manière dont vous avez choisi de faire classe et des besoins de vos élèves. S’interroger sur sa posture face à l’enfant malade, c’est mettre l’enfant au centre de sa préoccupation, dans ce qu’il a d’unique. A travers la demande de l’enfant, de ses parents et du travail réalisé lors de l’élaboration du projet de scolarisation, l’enseignant peut souhaiter travailler plus particulièrement un axe.

Le bon sens et le tact, meilleurs alliés des compétences des enseignants

Ce qui peut s’avérer compliqué dans l’accueil d’un enfant malade à l’école ne réside pas spécialement dans les savoirs faire de l’enseignant mais trouve essentiellement sa source dans le savoir être face à un individu touché par la maladie. Ainsi, il s’agit d’adapter ses compétences « ordinaires » dans un contexte délicat où, dès lors, le bon sens et le tact deviennent les meilleurs alliés aux fonctions inhérentes développées par le corps enseignant. De manière non exhaustive, nous avons choisi de mettre l’accent sur trois fonctions principales où chacun peut y piocher les ressources nécessaires pour le bon accomplissement d’un projet de scolarité faisant écho à un projet de vie.

  • Contenir

Un enfant en soins palliatifs ressent dans son corps la gravité de la situation, il a ses propres émotions, mais il perçoit dans sa relation à l’autre l’inquiétude, la tristesse, etc. Sa vie intime peut « vaciller ». L’enfant peut être à la recherche d’un cadre suffisamment rassurant et peut venir chercher cette contenance à l’école en la personne d’un enseignant. Un enfant en soins palliatifs est un enfant avant tout et a donc besoin du repère des adultes pour poursuivre sa construction. Lui proposer un cadre bienveillant mais contenant, des limites, des interdits « justes », vont l’aider à avoir confiance en lui. Ce sentiment peut le rassurer et lui permettre de maintenir son propre cheminement de pensée.

  • Accompagner

Doit-on avoir les mêmes attendus, les mêmes exigences face à cet enfant ? L’enfant va insuffler sa dynamique et va ainsi permettre à l’enseignant de s’adapter au rythme de l’enfant. Les capacités de l’enfant (attention, mémoire, concentration, vivacité, etc.) peuvent ainsi se trouver amoindries et c’est dans la créativité du lien que l’enseignant va tisser sa pédagogie. L’enfant n’est pas dupe et vient probablement chercher dans l’enseignant, un adulte juste, sur lequel s’appuyer. Il est nécessaire de s’interroger sur le sentiment que peut avoir l’enfant si « on » fait à sa place, si « on » pense qu’il ne peut plus, etc. Cela ne risque-t-il pas d’engendrer un sentiment de perte de sens, de perte de confiance dans sa capacité à faire, à vivre ? Pour limiter cet écueil, fondé sur une envie légitime de bien faire, il convient, à nouveau, d’interroger l’enfant : « Je vois que je t’ai demandé un travail difficile, veux-tu que je t’aide ? Veux-tu le finir chez toi ? Veux-tu le poursuivre plus tard ? ». Autrement dit, accompagner un enfant malade dans sa scolarité relève d’un savant mélange entre assistance et suppléance dans les tâches qui lui sont demandées.

  • Enseigner

L’enfant qui demande à poursuivre sa scolarité est en demande d’enseignement et c’est bien ce rôle propre de l’enseignant qu’il vient chercher. L’enfant va se saisir de ce qu’il aime, de ce qui lui plait et s’évader quand cela lui plait moins. L’enfant apprend-il pour plus tard ou apprend-il simplement pour savoir ? La réponse à cette question vient soulager celle qui pourrait se poser : pourquoi apprendre à lire, à compter puisqu’il va mourir ? Combien d’enfants en primaire sont acteurs de leurs apprentissages ? C‘est à dire, combien le font en pensant à leur vie d’adulte ? Une des spécificités des soins palliatifs pédiatriques et, probablement, une des chances, c’est que l’enfant vit le moment présent. Les interrogations sur l’utilité des savoirs sont peut-être davantage une question d’adulte. Comment réagir si l’enfant interpelle, soit dans un sens, en refusant d’apprendre, car ça ne lui servira pas, ou dans un autre, en disant qu’il sera astronaute ou cuisinier ? L’enfant peut tester l’enseignant et voir comment il réagit. Le piège est alors de plaquer nos représentations d’adultes sur les mots de l’enfant. Il est préférable de le questionner sur ce qu’il veut dire, sur ce qu’il pense et, parfois, oser dire « je ne sais pas ».

L’enfant demande à être toujours le même, parce qu’on ne peut pas le réduire à sa maladie

L’enfant en soins palliatifs qui demande à être scolarisé demande certainement juste à être toujours lui, le même, parce qu’on ne peut pas le réduire à sa maladie. Il veut être un enfant comme un autre, c’est bien pour cela qu’il veut continuer à aller à l’école. Pointer une « différence » aux yeux de ses camarades de classe risque de le discriminer alors qu’il veut se fondre dans la masse.

Respecter de poser les mots choisis par l’enfant pour évoquer sa maladie

Il est nécessaire ainsi d’anticiper les questions des autres en demandant à l’enfant et à sa famille quelles sont les informations ou non à communiquer aux camarades de classe. Par exemple, vous pouvez lui poser les questions suivantes : qu’est-ce qu’on leur dit à tes camarades ? Quel nom donne-t-on à ta maladie (si elle se voit) ? Du fait du secret médical, seul le malade peut décider de ce qu’il veut dire. Respecter de poser les mots choisis par l’enfant permet à l’enfant de maintenir son espace de sécurité, de créer sa bulle.

Pointer ce qui nous est commun à tous : tout le monde peut être malade et tout le monde est mortel

Accueillir un enfant gravement malade en classe, c’est peut-être l’occasion de travailler sur ces questions non pas en pointant l’enfant comme différent, mais plutôt en pointant ce qui nous est commun à tous : tout le monde peut être malade et tout le monde est mortel. Enseigner auprès d’un enfant en situation palliative n’est donc pas simplement un partage de connaissances, mais aussi un travail d’échange et de culture dans lequel l’enfant, bien malgré lui et peut être un peu plus que les autres élèves, a cette capacité à apprendre et nous apprendre.

Ecoute et présence

Lorsque l’on rentre en relation avec un autre, et peut être encore plus avec un enfant, de surcroît gravement malade, nous sommes traversés par des émotions. Les pensées ne s’arrêtent pas quand on ferme la porte de la classe, nous emmenons dans nos vies personnelles les situations et expériences de vie que nous rencontrons dans le champ professionnel. Elles restent bien souvent dans nos têtes et peuvent être source de maux et de souffrance.

Se laisser traverser par ces instants de doutes et de tristesses

Aborder ces émotions en écho, dans un environnement propice à cela, permet de les identifier, de les comprendre et de les accepter. Pour ce, une des meilleures postures à tenir est sans doute de se laisser traverser par ces instants de doutes et de tristesses. Les vivre, même à contre cœur, c’est offrir, à l’enfant malade et scolarisé, une possibilité de le « comprendre ». Dans cette dynamique empathique, il devient dès lors possible de créer un espace au sein duquel peut naître un des meilleurs compromis existentiel où chacun pourra y piocher le sens dont il a besoin pour y vivre ce qu’il a vivre.

Veiller à ce que les émotions n’envahissent pas l’espace psychique de chacun

Par ailleurs, des temps de débriefing, avec l’ERRSPP par exemple, avec les psychologues scolaires, peuvent aider à mettre en mots et à travailler ces émotions afin qu’elles ne viennent pas envahir l’espace psychique de chacun.