Véritable ambulance intérieure, le processus de deuil vient aider la personne à préserver son intégrité psychique et à prendre soin d’elle face à la souffrance occasionnée par la perte. Ce cheminement, où le jeune en vient à reconnaître, accepter et intégrer la réalité de la perte, à exprimer les émotions et affects qu’elle provoque, à (re)construire une relation intime et intérieure avec la personne disparue, puis à réinvestir le monde et les relations avec autrui, participe de sa résilience. Mais qu’entend-on réellement par résilience ?

L’éclairage de Marie Anaut, professeure de psychologie clinique et sciences de l’éducation à l’Université Lyon 2, psychologue clinicienne et spécialiste de la résilience dans le cadre scolaire et familial. Auteure notamment de Psychologie de la résilience (Armand Colin, 2015).

 

Une dynamique de reconstruction après une épreuve de la vie

La résilience se conçoit comme une dynamique de reconstruction après une épreuve majeure de la vie. Face à un traumatisme (catastrophe, accident, perte soudaine d’un être cher), un sujet est réputé « résilient » lorsqu’il parvient à intégrer les pertes et les deuils et à se reconstruire. Du point de vue psychique, le processus de résilience comprend une phase de protection face à la menace de désorganisation et une phase de quête de sens qui accompagne la reprise d’un nouveau développement. De même, le processus de deuil implique de se protéger de la détresse émotionnelle et de reprendre une perspective de vie qui intègre l’expérience adverse. Ainsi, « faire le deuil » suppose de surmonter l’épreuve qui devient partie prenante de la vie du sujet.

Se protéger de la détresse émotionnelle et reprendre une perspective de vie qui intègre l’expérience adverse

Après la perte d’un être cher, le deuil peut prendre des chemins différents selon les sujets, l’âge, la situation familiale et sociale. Les enfants et adolescents confrontés à un deuil familial expriment parfois leur souffrance de façon atypique. Certains sont en colère, d’autres ne pleurent pas, se murent dans le silence, certains se mettent à rire de tout… L’ambivalence est fréquente avec des sentiments d’injustice et de culpabilité : l’impression d’avoir été abandonné par le défunt, trompé par les adultes, le regret de ne pas avoir pu dire au-revoir au défunt.

Des mécanismes de défense pour se protéger de l’angoisse

Face à la tempête émotionnelle provoquée par la perte d’un proche, l’enfant va mobiliser des mécanismes de défense pour se protéger de l’angoisse. Ces mécanismes peuvent prendre différentes formes : déni, clivage, refuge dans l’imaginaire, humour… Notons que l’installation dans la durée des mécanismes de déni ou de clivage va rendre difficile le processus de reconstruction et peut nécessiter un accompagnement psychologique.

Les rituels sont essentiels pour inscrire la situation vécue dans une matérialité symbolique

Les décès à l’hôpital et la situation pandémique interdisent ou écourtent les rituels familiaux d’accompagnement du deuil. Or, ces séquences sont essentielles à l’adieu, les rituels permettent d’inscrire la situation vécue dans une matérialité symbolique qui aide au processus de deuil. Aussi, il est parfois nécessaire de renouer avec des rituels pour permettre aux enfants de (re)trouver du sens après un deuil et reprendre goût à la vie, sans culpabilité.

Des facteurs de protection personnels, mais aussi un soutien essentiel de l’entourage relationnel

La faculté à surmonter la détresse dépend non seulement des facteurs de protection personnels de l’enfant mais aussi des soutiens qu’il peut trouver dans son entourage relationnel. L’analyse des liens familiaux dans les situations de deuil montre que certaines familles ont tendance à se souder pour amortir le choc et se protéger, à mobiliser des solidarités qui aideront les membres à surmonter l’épreuve. Mais d’autres se renferment sur la douleur en un repli défensif rigide qui entretient la souffrance et bannit les manifestations de plaisir et de joie. Par ailleurs, les membres d’une famille sont parfois désynchronisés dans leurs cheminements vers le deuil : certains restent figés dans la douleur de la perte et d’autres sont prêts à passer à autre chose.

Ni deuil standard, ni résilience type

Il faut se défaire d’une vision normative concernant le processus de deuil trop souvent présenté comme un « travail de deuil » qui se déroulerait selon une temporalité et des modalités immuables. Or, la réalité montre qu’il n’en est rien ! Le temps nécessaire pour surmonter une épreuve traumatique est variable d’un individu à l’autre, tout comme l’expression des émotions et des comportements qui témoignent de la diversité et des fluctuations que peuvent prendre les processus de deuil. Aussi, une souffrance qui perdure n’est pas forcément le signe d’un « deuil pathologique ». Considérer un enfant en détresse comme présentant un deuil pathologique risque de rendre plus difficile sa reconstruction, en rajoutant à la douleur de la perte le sentiment d’être incompris et isolé dans sa souffrance. Donner des indications de temps de « deuil normal » et de « deuil pathologique » a pour conséquence de culpabiliser les sujets qui ont besoin de plus de temps que d’autres pour intégrer et donner du sens aux épreuves traversées. Or, il n’y a pas de temps de deuil standard, tout comme il n’y a pas de résilience type !

Estime de soi, sociabilité, créativité et humour comme leviers de résilience individuels

Lors d’un deuil familial, accompagner la résilience implique la prise en compte des caractéristiques singulières de l’enfant et de son contexte de vie, dans l’objectif de réunir les conditions favorables au déclenchement d’une dynamique de résilience. L’exploration des facteurs susceptibles de favoriser la résilience concerne les ressources existantes chez l’enfant et dans son entourage relationnel familial et social, mais aussi d’identifier les entraves au processus de deuil (culpabilité, honte, non-sens, déni…). Les leviers de résilience individuels sont notamment : l’estime de soi, la sociabilité, la créativité, l’humour. Alors que les ressources relationnelles concernent toutes les formes de soutiens familiaux, péri-familiaux ou sociaux. Ainsi, accompagner la résilience chez un enfant endeuillé implique la reconnaissance de ses compétences et des ressources de son contexte de vie, et si besoin d’aider à désamorcer les dysfonctionnements individuels et familiaux, à lever les blocages éventuels.