Le deuil n’est pas une maladie mais un état lié au manque après le décès d’un être cher affectivement. Cet état montre que chaque humain est un être de relation avec sa sensibilité et sa croyance. En quoi consiste ce processus de cicatrisation psychique ? Comment s’immisce-t-il au fil du développement de l’enfant ?

 

L’éclairage de Dr. Alain de Broca, neuro-pédiatre, pédiatre du développement et philosophe, Sophie Debon, puéricultrice, Virginie Peret, infirmière, Fany Renard, psychologue et Thérèse Tinot, puéricultrice, de l’Equipe Ressource Régionale Soins palliatifs Pédiatriques de Picardie (CHU Amiens).

 

Le deuil, un manque physique et psychique

L’être cher décédé manque complètement. Il ne pourra plus jamais revenir. On ne peut plus lui dire qu’on l’aime encore ni qu’il puisse à son tour vous le dire ou vous prendre dans les bras. Il y a un manque physique et psychique. Pour résister à cette sensation de tristesse, de vide, la personne va parfois refuser la réalité et croire que la personne décédée va revenir. On va parfois être très en colère contre le défunt au point que cette colère soit permanente dans la tête et empêche que le survivant puisse continuer de vivre. Le deuil est un temps qui permet non seulement « d’intérioriser l’être défunt », c’est à dire se dire que celui que j’aimais est toujours présent en moi (sous une forme invisible) mais aussi le temps pour continuer à s’ouvrir aux autres parce que la vie est aussi faites des relations avec tous les autres (famille, copains, autres adultes).

Parler de la mort, partie intégrante du développement de l’enfant

L’enfant (comme tout vivant) est un être qui passe par des étapes de développement. Schématiquement, on se développe sur trois champs. Le champ rationnel – le savoir, ce qui est, ce qu’on comprend ; le psychisme, et le spirituel. La question de la mort est une question très précoce dans la vie de l’enfant. Dès trois ans – trois ans et demi, il peut poser une question « pourquoi, il (un oiseau) est mort ? » « C’est quoi la mort ? ». Il ne faut pas s’en inquiéter. La réponse de l’adulte construira sa pensée et sa manière de comprendre cet évènement de perte ultime. Si l’adulte a peur de lui répondre, il en aura peur. Si l’adulte lui en parle avec simplicité et sincérité, il pourra comprendre que cela est ainsi même si cela est accompagné de tristesse mais que ce n’est pas tabou d’en parler.

A la période hypothético–déductive, une prise de conscience de l’irréversibilité de la mort

Son développement cognitif l’amènera vers 6-7 ans à mieux saisir ce qu’est réellement la perte, car il passe par une période de la pensée qui devient logique. Une cause entraine une conséquence. Il entre dans la période hypothético –déductive. Vers cette période, ce qui est vrai est vrai. Il commence à comprendre qu’un mort ne reviendra pas, ce qu’on appelle l’irréversibilité de la mort. Il commence aussi à mieux saisir les durées chronologiques, de la semaine, des jours, des mois, ce qui lui permet de mieux parler de ce qu’il vit au fil des jours de deuil. Si sa mémoire, ses mémoires sont déjà très développées depuis sa naissance puisqu’elles lui permettent d’apprendre un langage, une langue, des connaissances, il n’aura des souvenirs sur le long terme de fait réels qu’après 5-8 ans selon les enfants et souvent de faits qui auront créés un traumatisme, un évènement fort. Il faudra alors lui rappeler ces évènements au fil des années et lui montrer par exemple des photos de ce qu’il faisait avec le défunt.

Des phases de rebond

Du fait de cette évolution développementale, l’enfant aura ce qu’on appelle des phases de rebond. Car si à trois ans l’enfant a compris ce qu’il vit comme il le peut, il devra se réapproprier ses connaissances avec ses capacités de logique et temporelles à 5 ans, à 7 ans puis à 10 ans ou l’adolescence ou en tant que jeune adulte etc. cela explique que les enfants peuvent demander à ce qu’on reprenne les évènements ensemble à chaque phase pour qu’il les comprenne avec ce qu’il est à ce moment-là. Ce n’est pas un comportement morbide ni pathologique. Au contraire, cela est un signe de bonne santé.

Ne pas cacher ni sa tristesse ni les moyens de mieux passer le cap

Chaque être est aussi un être spirituel. C’est à dire que l’humain a toujours eu des questions sur son origine, sur le lien avec l’au-delà, sur les liens avec ceux qui sont décédés ou ceux qui l’ont précédés. Très tôt l’enfant à ces interrogations. Certes, les réponses sont alors très familiales et culturelles. Il saura peu à peu prendre à son compte sa croyance (athée, religieuse, spirituelle) mais il le fera parce que ses parents auront pu lui exprimer ce qu’eux vivent lors de la perte d’un être cher. Il ne faut pas cacher ni sa tristesse ni les moyens de mieux passer le cap. La foi peut être une manière d’exprimer cette recherche.

Des deuils qui jalonnent la vie, et que l’enfant vivre selon la confiance qu’il a en lui-même et qu’il acquiert grâce à la présence affectueuse, positive, encourageante, de ses parents

En sus de la perte d’un être cher affectivement, l’enfant devra aussi vivre ses deuils de lui-même parce qu’en passant les étapes de son développement il va devoir vivre en quelques sorte des deuils de lui-même. Il vivra toutes ces étapes selon la confiance qu’il a en lui-même et qu’il acquiert grâce à la présence affectueuse, positive, encourageante, de ses parents (en anglais ce qu’on appelle coping, holding et handling). La confiance en lui va ou non augmenter au fil de sa vie si on peut le rassurer pour lui dire qu’il est toujours aimé et aimable malgré tout. Avec ce qu’il est devenu au fil de son développement, l’enfant vivra la perte d’un être cher d’autant moins durement qu’il aura eu un support franc, massif et contenant des êtres chers qui survivent avec lui et qui lui montrent qu’on peut tout en pensant au défunt continuer de vivre pleinement. Tout cela amène à ne pas mettre de côté l’enfant face à un décès de sa famille, à lui demander de participer à sa manière aux obsèques, à pouvoir avec lui évoquer le défunt au fil des années, et lui rappeler que pour ceux qui restent le défunt est bien une personne importante de l’arbre généalogique, c’est-à-dire qu’il ne sera jamais oublié.

Dr. Alain de Broca est responsable du DU « Deuils et endeuillés », proposé par l’Espace de Réflexion Éthique Régional des Hauts-de France et l’Université de Picardie Jules Verne, qui existe depuis 1994 et où intervient son équipe.