Deuils normaux, deuils difficiles, deuils empêchés, deuils chroniques, deuils pathologiques… Si le deuil est un processus, un labeur normal, véritable ambulance intérieure répondant au choc de la perte, certaines complications peuvent toutefois s’immiscer, chez l’enfant et l’adolescent comme chez l’adulte. Elles nécessitent ainsi une vigilance accrue, du fait de l’impact significatif qu’elles peuvent avoir sur la santé physique comme psychique des jeunes.

L’éclairage de David Marie, psychologue clinicien au service d’oncologie médicale et soins palliatifs, Unité de Psycho-oncologie, du CHU Timone (Marseille).

 

 

Un deuil ne se fait pas mais se vit sous l’égide d’une grande débauche d’énergie psychique amenant son lot de tristesse

Le deuil est depuis toujours l’affaire de tous puisque il touche à la perte et à la séparation. Il est aujourd’hui, selon l’expression consacrée, nécessaire de faire son deuil au moment d’une expérience douloureuse en lien avec la mort d’un être cher. Toutefois, il convient d’être modéré quant à cette « invitation » car un deuil ne se fait pas mais se vit sous l’égide d’une grande débauche d’énergie psychique amenant son lot de tristesse ; ses corollaires, comme les pleurs, en sont souvent les meilleurs témoins. En effet, le deuil est un travail, au sens du labeur, et se décrit comme un processus psychique et temporel couteux. Il est d’abord échafaudé sur l’épreuve de réalité : la perte réelle d’un être aimé. A celle-ci s’ajoute un temps de détachement de l’objet d’amour : vivre sans celui ou celle que l’on a aimé. Enfin, un dernier temps qui permet de réinvestir la vie de manière « normale » : vivre avec l’absence tout en perpétuant la vie du défunt à l’intérieur de soi. Le deuil produit donc des transformations sur l’identité même de celui qui en subit le travail et dont nous pourrions dire qu’il est, après cette expérience, le même autrement.

Un phénomène complexe constitué de différents signes qui n’obéissent à aucune chronologie

Le deuil est ainsi un phénomène complexe qui s’avère toujours compliqué à vivre pour celui qui en fait l’expérience. Il est constitué de différents signes qui n’obéissent à aucune chronologie en en passant par le déni (refus de la réalité), la colère (sentiment d’injustice face à la perte), le marchandage (négociation imaginaire pour ramener le défunt à la vie par exemple), la dépression (perte de sens de la réalité de par son caractère incompressible) et l’acceptation (plus ou moins grande tolérance de la perte). Si nous souhaitions en donner une définition, nous dirions que le deuil est une plus ou moins forte crise relationnelle (avec soi, le monde et les autres) soumise à des mouvements de rigidité (incapacité au changement) et de chaos (changement incessant).

Quand le deuil se complique…

Il arrive malheureusement que le deuil ne suive pas les routes « balisées » et emprunte quelques chemins de traverse et autres impasses. Ainsi, le processus de deuil se trouve parfois entravé pour se conjuguer sous différentes formes. Le deuil chronique en est l’exemple le plus courant. Il s’agit d’un deuil avec une durée excessive et prolongée (rappelons que classiquement le temps du deuil oscille entre un et deux ans) avec la présence d’auto-accusation, de colères et des signes de dépression soulignés par un désinvestissement du monde extérieur qui perdure dans le temps. Dans le deuil inhibé ou absent, ce qui prédomine est le déni de la perte, avec là aussi la présence de colère et de culpabilité. Enfin l’ouverture sur une décompensation psychotique : le plus souvent un état mélancolique où la personne endeuillé se présente comme l’ombre d’elle-même, ou plutôt comme aliéné à la personne disparue. Nous pourrions ainsi dire que le l’ombre du défunt est tombée sur l’endeuillé pour en « prendre le contrôle ». Il peut également arriver que la perte d’un être cher soit l’élément déclencheur (nous insistons sur le terme d’élément déclencheur) pour une entrée dans la « folie » de type bouffée délirante, schizophrénie ou bipolarité par exemple.

Dans les complications d’un deuil, des fragments présents dans un processus de deuil habituel

Il convient donc de bien saisir que l’on retrouve dans les complications d’un deuil des fragments présents dans un processus de deuil habituel. Accompagner une personne endeuillée implique donc d’aiguiser sa sensibilité à quelques éléments subséquents au contexte, l’histoire et la personnalité dans lesquels l’expérience de la perte vient la faire trébucher. Il est donc important d’interroger le lien affectif que les enfants ou adolescents entretenaient avec le défunt. Ce lien, et sa force, sont à dissocier du lien de sang bien qu’ils soient, par bien souvent, concomitant. Par ailleurs, la représentation de la mort que peut avoir la personne endeuillée joue également un rôle important dans l’élaboration du travail de deuil. De fait, l’âge auquel le deuil fait effraction dans la vie d’un enfant ou d’un adolescent n’est pas anodin. En effet, en fonction de l’âge, ces représentations sont différentes (0 à 2 ans : incompréhension et indifférence face à la mort mais importance de la séparation ; 2 à 6 ans : la mort est comparable au sommeil ; à partir de 6-7 ans jusqu’à 10 ans : prémices et installations de la représentation de la mort comparable à celle des adultes avec caractère irréversible et universel). Enfin, pour ce qui concerne plus spécifiquement l’adolescence, la perte d’un être aimé peut prendre des « accents ordaliques » dans lesquels l’adolescent a du mal à admettre (comprendre et accepter) l’épreuve à traverser.

Le deuil, un processus existentiel d’une expérience dont la vie ne peut nous soustraire à son économie

Le deuil est un processus psychique dont les complications rentent assez rares. Il est avant tout, pour tenter de le vulgariser, une expérience douloureuse où la tristesse est subordonnée à son maître mot : l’amour. En effet, être endeuillé c’est aussi apprendre, contre son gré, que l’amour oblige aussi à se séparer, et laisser s’envoler et vivre ceux de nos cœurs sur des sentiers qui ne peuvent être empruntés que de manière individuelle.

Pour conclure, malgré toutes les complications possibles d’un deuil, et ce d’autant plus lorsqu’il touche des enfants et des adolescents, nous souhaitons mettre en avant le processus existentiel d’une telle expérience dont la vie ne peut nous soustraire à son économie.

> Vous pourrez trouver ci-dessous une contribution explorant plus spécifiquement le deuil compliqué et pathologique chez l’enfant et l’adolescent, de Pr. Jean-Yves Hayez, psychiatre infanto-juvénile, docteur en psychologie, professeur émérite à la Faculté de médecine de l’Université catholique de Louvain (Belgique).