Deuil de son pays natal et des proches laissés au pays, deuil d’une langue et d’une culture, deuil d’un retour à la vie d’avant, mais aussi deuils liés à la disparition de proches… Les pertes et les deuils, parfois sources de traumatismes, jalonnent les parcours des jeunes immigrants, réfugiés et demandeurs d’asile. Quels sont les facteurs favorisant l’élaboration psychique du deuil ? Quel rôle peut alors jouer l’école ?

L’éclairage de Garine Papazian-Zohrabian, professeure agrégée au Département de psychopédagogie et d’andragogie, Faculté des sciences de l’éducation de l’Université de Montréal. Garine Papazian-Zohrabian est directrice scientifique de l’Équipe de recherche interdisciplinaire sur les familles réfugiées et demandeuses d’asile.

 

Des flux migratoires en hausse, et des parcours susceptibles d’engendrer une importante détresse psychologique

Partout dans le monde, les conflits armés, les guerres ainsi que les réalités socio-politiques et socio-économiques variées augmentent les flux migratoires et exacerbent la crise humanitaire relative aux personnes réfugiées et demandeuses d’asile. Diverses expériences de violence et d’adversité poussent les familles et les individus à fuir leur pays d’origine, à s’installer ou à chercher asile dans des pays relativement plus sûrs. Durant le parcours pré et péri migratoire, les déplacements peuvent être nombreux et engendrer une importante détresse psychologique. Ils s’effectuent souvent dans des conditions d’adversité : la pauvreté, la violence, la séparation de la famille, le recrutement au sein de groupes armés et l’interruption du parcours scolaire. Les récits de ces personnes mettent en évidence les multiples expériences de traumatisme et de perte, et parfois de détérioration de leur santé mentale.

De fait, certaines jeunes immigrants développent des problèmes en matière de santé mentale

Toutefois, outre l’adversité de la vie pré-migratoire, la santé mentale des jeunes immigrants est également influencée par le processus migratoire, les pertes post-migratoires, les différences culturelles et linguistiques et les difficultés financières rencontrées dans le pays d’accueil. Bien qu’un grand nombre de jeunes immigrants, réfugiés et demandeurs d’asile soient résilients, beaucoup d’autres développent des problèmes de santé mentale et des difficultés d’intégration à la société hôte. Les deuils et les traumatismes pré, péri et post-migratoires peuvent également affecter négativement leur adaptation scolaire et entraîner des difficultés d’apprentissage.

Toute migration, qu’elle soit choisie ou forcée, amène son lot de pertes et de séparations

Toute migration, qu’elle soit choisie ou forcée, amène son lot de pertes et de séparations. Pertes définitives des racines, de la patrie, de la famille, des amis, du domicile, des repères spatio-temporels et culturels, elles entraînent chez les immigrants un processus de deuil souvent complexe, qui dépend des conditions dans lesquelles celles-ci ont été vécues. Comme tout deuil, le deuil migratoire est caractérisé par des processus de surinvestissement de et parfois d’identification à l’objet perdu, renforçant ainsi la souffrance de la perte. Parmi les conditions défavorisant l’élaboration psychique du deuil, la rupture brutale des liens, les pertes violentes, l’incapacité de faire ses adieux marquent souvent l’expérience des pertes migratoires des jeunes réfugiés ou demandeurs d’asile. Le deuil vécu devient alors potentiellement traumatique.

Des deuils parfois vécus de manière traumatique

Le traumatisme psychique est la réaction naturelle, adaptative de tout individu face à un événement potentiellement traumatique : ruptures brutales, violences physique, sexuelle, psychologique, catastrophes naturelles, guerres, attentats, tortures, persécutions, découverte inopinée de corps, exposition à des scènes de violence, déplacements forcés ou brutaux, etc. Selon l’approche psychiatrique, tout événement traumatique peut entraîner chez le sujet un trouble de stress post-traumatique. Chez le jeune, les symptômes les plus fréquents sont : un comportement désorganisé ou agité, réviviscences de l’événement, souvent à travers des jeux, des dessins, des cauchemars répétitifs, sentiment de détachement, évitement de tout ce qui peut rappeler l’événement traumatique, ainsi qu’une activation neurovégétative. Selon la théorie psychanalytique des traumatismes psychiques et de nombreuses études cliniques, le traumatisme provoque chez l’individu une angoisse importante, non déchargeable par l’activité motrice ou la créativité, et contre laquelle les mécanismes de défense du Moi sont inopérants. Les impressions traumatiques sont alors refoulées, de même que parfois, l’angoisse et la colère qui en résultent.

Des deuils et traumatismes sources de difficultés d’adaptation ou de problèmes d’apprentissages

Ces deuils et ces traumatismes pré, péri et post migratoires peuvent entraîner chez ces jeunes des problèmes de santé mentale tels que la dépression, l’anxiété, des problèmes psychosomatiques, ainsi que des difficultés d’adaptation et d’apprentissages qui peuvent à leur tour mettre en péril leur intégration sociale et scolaire ainsi que leur réussite éducative. Les manifestations les plus importantes des difficultés d’adaptation sont l’agitation, l’agressivité impulsive, le repli sur soi. Quant aux difficultés d’apprentissages, elles résultent de la non-disponibilité cognitive du jeune, de son manque de motivation pour et son manque d’implication dans ses études, de ses difficultés de concentration et de mémorisation, des problèmes sur le plan de la compréhension – surtout dans les matières nécessitant une grande concentration comme les mathématiques, les sciences et la grammaire – ainsi que des difficultés liées à la désorganisation et la fatigue.

Certains jeunes développent des stratégies de survie et certains sont plus résilients que d’autres

Nous soulignons cependant que les jeunes immigrants, réfugiés ou demandeurs d’asile ne sont pas nécessairement tous endeuillés et traumatisés par les mêmes événements, de la même manière et avec la même intensité. Certains jeunes développent des stratégies de survie et certains sont plus résilients que d’autres. Ceux qui ont été plus ébranlés par leurs expériences de vie, ont surtout besoin d’un accueil bienveillant et sécurisant et, parfois, d’un soutien et d’un accompagnement.

L’école représente pour les jeunes réfugiés et demandeurs d’asile la vie, la normalité et la stabilité

Dans ce sens, l’école est le lieu naturel et privilégié pour leur assurer ces services, participer à leur développement global et promouvoir leur santé mentale. De plus, après tant d’expériences de violences, d’adversité et de pertes, l’école représente pour les jeunes réfugiés et demandeurs d’asile surtout, la vie, la normalité et la stabilité. Par le climat sécurisant et les opportunités de socialisation qu’elle peut proposer, l’école de la société d’accueil ainsi que les organismes et associations communautaires peuvent favoriser le développement du bien-être psychologique de ces jeunes ainsi que leur sentiment d’appartenance à la société d’accueil, tout en leur permettant de faire la paix avec le passé et de se projeter dans un avenir meilleur.