“Si la vérité n’est pas dite dans les termes mêmes que les adultes emploient pour affronter ces souffrances, l’enfant construit dans sa tête des fantasmes” explique Françoise Dolto dans Lorsque l’enfant paraît (1979). Face à la mort, il s’agit pour l’adulte de trouver les mots simples, justes et concrets, adaptés à l’âge des enfants. Se méfier des expressions imagées, que les enfants sont susceptibles de prendre au pied de la lettre et qui peuvent créer de la confusion et venir renforcer leur anxiété, est primordial. Autant que le fait de se rappeler que parler de la mort, c’est parler de la vie.

L’éclairage de Dr Patrick Ben Soussan, psychiatre, responsable du département de psychologie clinique de l’Institut Paoli-Calmettes – Centre Régional de Lutte contre le Cancer PACA (Marseille). Il est notamment co-auteur de L’enfant face à la mort d’un proche (Albin Michel, 2006).

 

Les enfants éprouvent en leur corps et au fondement même de leur sensibilité naissante tout ce qui se « trame » dans la famille, ce qui s’y joue, qui y vit et qui y meurt

Quand on est confronté à un événement d’une intensité émotionnelle et affective particulièrement forte, comme ce qui touche à tous les sujets de la vie, il faut en parler avec vérité, attention et bienveillance. Il ne faut surtout pas attendre qu’un drame survienne pour aborder une discussion sur le thème de la mort. Nous pouvons nous saisir de tant d’occasions : un moustique qu’on écrase, un animal qui meurt, ou même des feuilles qui tombent… Nous pouvons aussi mettre nos enfants au secret, leur cacher les éléments les plus graves, ne rien leur dire. Nous pouvons les exclure, sans nous rendre compte de la teneur exacte de nos gestes, de nos silences, de ce qui rassemble toute la famille. Nous pouvons faire en sorte qu’ils soient absents de ces grands cérémonials de la vie, quand bien même ils concernent la mort. Et pourtant les enfants éprouvent en leur corps et au fondement même de leur sensibilité naissante tout ce qui se « trame » dans la famille, ce qui s’y joue, qui y vit et qui y meurt. Il faut aider les parents à parler à leur enfant de leurs émotions, de leurs limites, de leurs questions sur l’aujourd’hui et le demain, de leurs doutes de leurs espoirs. Mais voilà, il est si difficile de parler de la mort avec un enfant.

Les mots ne tuent pas et il faut arrêter de surprotéger les enfants ou les mettre sous cloche

La mort fait partie de ces grandes questions taboues dans le dialogue avec les enfants ; comment parler de ce qui fait peur, comment dire ses angoisses face à la finitude ? Parler de la mort pour un adulte revient à penser à sa propre disparition et les parents sont persuadés que parler avec son enfant de ce qui fait mal risque fort de le traumatiser à vie. Mais les mots ne tuent pas et il faut arrêter de surprotéger les enfants ou les mettre sous cloche. Nous devons les préparer à affronter épreuves et difficultés. C’est pourquoi, très tôt, les parents doivent parler de tout ce qui fait la vie. Et parler de la mort, c’est parler de la vie. Cela fait partie des questions existentielles, fondamentales dans le développement d’un enfant. N’oublions jamais l’appétit de curiosité des enfants, leur soif de savoir et de comprendre !

Comment lui en parler ?

« Maman est partie en voyage », « Ton frère est dans les étoiles », « Papi s’est endormi »… Lorsque cela arrive, il ne faut pas chercher à employer le bon mot ou à trouver une belle image. Il faut se mettre à la portée de l’enfant et lui donner des éléments de compréhension. Mieux vaut dire les choses clairement, simplement. Il faut dire la vérité, telle qu’elle est, « brute de décoffrage » comme on dit. L’enfant est accessible à ce genre de vérité, et ce, dès le plus jeune âge. Des images comme « papa est parti pour un long voyage, maman est montée au ciel, ton frère est dans les étoiles, papi s’est endormi pour toujours » n’ont pas de sens pour un enfant. Que de fadaises et de pieux mensonges nous racontons parfois aux enfants… Ce n’est pas parce que l’on est face à un enfant que l’on doit économiser notre parole, notre intelligence et notre créativité. Leur dire « il ne pourra plus faire la course avec toi » ou « tu ne le verras plus » ou « ses câlins vont nous manquer » aura plus de résonance. Chaque enfant est capable d’entendre ce qu’on lui dit et de l’interpréter avec son niveau de connaissances et de développement. Il n’y a aucun interdit sur la parole, même si on ne dit jamais tout. On bricole plutôt avec la vérité. De la même manière, rien ne sert à un parent de feindre ou de se cacher pour pleurer, comme s’il importait de ne rien montrer de ses émotions et de sa douleur aux enfants. Bien au contraire, partager ses ressentis est primordial. De toute façon, il n’y a pas de « bonne façon » d’annoncer des mauvaises nouvelles. Il faut accepter qu’on n’est pas là pour faire un exercice de communication même bienveillante, essayer d’être le plus vrai possible et savoir que de toutes façons nous aurons d’autres moments où dire, échanger, parler, pleurer, ensemble. Ne jamais oublier que la souffrance qui n’a pas pu se dire grandit avec soi.

Qui doit annoncer la mort d’un proche à l’enfant ?

Un proche bien entendu, si cela est possible. Il faut vraiment prendre en compte celui qui annonce cette nouvelle. Il est extrêmement difficile de dire ces choses. Surtout à un enfant. Surtout si on est le parent survivant. La relation entre le parent survivant (si le défunt est l’autre parent par exemple) et l’enfant est toujours à prendre en compte. Celui qui dit doit trouver des soutiens personnels pour l’aider dans la transmission de ce message. Le contexte dans lequel l’annonce est faite à l’enfant est fondamental, le lieu, le moment de la journée, ce qui se passait alors, les personnes présentes.

Les enfants réagissent différemment face à la mort, comment analyser ces comportements ?

Chaque enfant réagira différemment, à l’annonce d’un décès, en puisant selon sa personnalité et la dynamique familiale. Pour le petit enfant, les proches représentent une sécurité, une protection, et si l’un d’eux disparaît, il ressent alors une profonde détresse. Confronté au deuil, l’enfant hésite entre hypermaturité et tendances régressives, conduites résignées et conduites impulsives, volontarisme et abattement, besoin de pouvoir et culpabilisation. Tout enfant est animé à l’égard de ses proches de sentiments ambivalents, d’autant plus à l’égard de ceux qui viendraient à décéder. Il peut être triste, abattu, renfrogné, mutique, mais aussi témoigner d’une véritable colère, pleine d’agressivité envers celle ou celui qui n’est plus présent physiquement et ce comportement induit souvent incompréhension et rupture de communication.

Il est faux de penser qu’un enfant confronté à la mort d’autant d’un de ses proches, sera un adulte malheureux

Quand les difficultés durent, il faut s’inquiéter de l’isolement, de la rupture des intérêts, des passions, des liens, il faut être attentif au sommeil, à l’appétit, aux résultats scolaires. Il faut aussi savoir que quand la mort touche une famille, quand un des membres de la famille tombe malade, puis décède, l’enfant est parfois promu enfant-soignant, thérapeute, consolateur. Il se prend en charge, mais prend aussi en charge son parent, voire les autres membres de la fratrie…Il se vit parfois responsable de tout ce qui vient d’arriver, est intimement persuadé qu’il y est pour quelque chose, voire pour beaucoup et peut se morfondre longtemps dans cette culpabilité qui l’inhibe, l’entrave, l’empêche de grandir et de vivre. Mais il est faux de penser qu’un enfant confronté à la mort d’autant d’un de ses proches, sera un adulte malheureux tout comme de penser que les enfants peuvent traverser ces drames sans heurts. L’épreuve a été et rien ne pourra l’effacer. Il faut donc prendre le temps d’écouter ce que les enfants nous disent, ils ont à être reconnus dans leur parole et leur douleur.

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