Si certains enfants en deuil laissent transparaître par des pleurs leur peine, leur culpabilité ou leur colère, beaucoup d’autres auront un chagrin bien plus enfoui, peu verbalisé, et des réactions émotionnelles parfois difficiles à décoder pour les adultes. Nommer ses propres émotions, aider l’enfant à mettre des mots simples sur les siennes et à exprimer son vécu par le média de son choix peut l’aider dans son cheminement.

LE REGARD DE Marthe Ducos, psychologue clinicienne à l’Institut Bergonié, centre de lutte contre le cancer de Bordeaux, et auteure d’une thèse en cours sur le vécu de l’enfant entre 2 et 5 ans en deuil de son parent suite à un cancer.

Des émotions assez rarement exprimées dans le deuil

« Les réactions émotionnelles d’un enfant endeuillé dépendent de son âge, de sa personnalité, du type de deuil auquel il est confronté, mais aussi du contexte, de l’accompagnement familial et de l’implication ou non de l’enfant aux rituels d’adieu. Jusqu’à 9 à 10 ans, les émotions d’un enfant sont assez rarement exprimées dans la suite du deuil : l’enfant ne manifeste pas forcément de colère ou de tristesse, et cette grande rétention émotionnelle rend difficile l’accompagnement.

Une tendance à ne pas manifester son chagrin pour protéger ses parents

Les émotions de l’enfant endeuillé ne sont en effet pas toujours concluantes ou concordantes avec ce que l’on voit : il peut y avoir une différence entre ce que l’enfant dit, ce que l’enfant montre et ce qu’il ressent. L’enfant a souvent tendance à peu manifester son chagrin et à garder pour lui sa tristesse, pour protéger son parent et sa famille, par peur de déranger et de rajouter de la souffrance, alors qu’il voit son ou ses parents et leur entourage très occupés et préoccupés. Il va ainsi parfois chercher à se faire oublier pour ne pas causer de « tord supplémentaire ». L’enfant peut alors rester très inhibé, va chercher le plus possible à se conformer à la vie et ne manifeste que peu ou pas de comportements qui laisseraient penser qu’il ne va pas bien. Lorsque l’enfant internalise autant ces émotions, on parle de « deuil gelé».

« Le fait que l’enfant continue parfois à jouer ou qu’il ne pleure pas peut laisser penser qu’il ne connaît pas le deuil, ce qui est faux »

MARTHE DUCOS, PSYCHOLOGUE

Une grande instabilité émotionnelle

Le fait que l’enfant continue parfois à jouer ou qu’il ne pleure pas peut laisser penser qu’il ne connaît pas le deuil, ce qui est faux. Si l’enfant ressent le deuil, et éprouve également l’anxiété environnante, il n’a pas nécessairement les mêmes manifestations de tristesse que les adultes. Certains enfants vont à contrario extérioriser ponctuellement et violemment leurs émotions, en étant bruyants, ou par des épisodes de colère très fugaces, très ponctuels, auxquels vont succéder rapidement des périodes dans lesquelles ils vont se remettre dans une forme de conformité au contexte. Cette grande instabilité émotionnelle est caractéristique de certains enfants endeuillés.

Des comportements susceptibles d’indiquer que l’enfant est perturbé

A défaut d’être verbalisé, le chagrin de l’enfant endeuillé s’exprime parfois à travers certains comportements indiquant qu’il est perturbé : troubles du sommeil, refus de manger, maux de tête ou de ventre, conduites régressives…

Un fort sentiment de culpabilité, du fait de la « pensée magique »

Le jeune enfant peut ressentir également un fort sentiment de culpabilité, en lien avec la « pensée magique » faisant qu’il se croit responsable de la mort de la personne aimée. Dans la pensée magique, il n’y a pas de distinction pour l’enfant entre ce qu’il pense, ce qu’il éprouve et la réalité externe. S’il y a un événement douloureux, il est possible que l’enfant l’analyse comme étant de sa faute. A cela s’ajoute parfois un sentiment d’isolement : l’enfant peut avoir l’impression d’être très différent de ses pairs, avec qui il échange peu sur le sujet, d’autant que le deuil n’est pas beaucoup abordé à l’école de manière générale.

Des substituts affectifs et jeux symboliques pour apprivoiser la solitude et la perte

La psychologie du développement nous enseigne enfin que l’enfant va mettre longtemps à comprendre que l’autre est parti. Il trouve alors parfois des substituts affectifs ou va développer des jeux symboliques – parler aux animaux ou à ses doudous, à un parent imaginaire, etc., autant de moyens pour lui de faire semblant que l’autre existe toujours, mais aussi, progressivement, d’apprivoiser la solitude et l’absence de la personne aimée.

Disposer d’une personne de confiance pour mettre des mots simples sur la mort

Il est important que l’enfant ait accès à une personne empathique en qui il a particulièrement confiance, qu’il s’agisse d’un parent, d’un grand-parent ou d’un membre de l’entourage. Mettre des mots simples sur la mort, expliquer à l’enfant les émotions que l’adulte qui lui fait face ressent, lui donner des outils pour nommer les siennes permet à l’enfant d’acter réellement l’existence de cette perte et de l’apprivoiser. Dans le cas d’une fratrie, il sera facilitant pour l’enfant de pouvoir échanger avec ses frères et sœurs, qui représentent pour lui des facteurs de protection et de réconfort.

Expliquer à l’enfant ce qu’est une émotion

L’adulte qui accompagne l’enfant peut aussi être accompagné s’il ne se sent pas capable de le faire. Il importe surtout qu’il s’attache à décoder et savoir ce que l’enfant ressent, et non de faire de la projection sur ce lui sentirait s’il était à la place de l’enfant. L’adulte peut expliquer à l’enfant ce qu’est une émotion, en utilisant des mots simples : une émotion, c’est ce que l’on ressent, au plus profond de soi, à l’intérieur de soi. On pourra souligner que tout le monde réagit très différemment à un deuil et à des émotions, mais aussi insister sur le fait qu’il n’y a pas de valeur morale rattachée à un sentiment, que l’on peut exprimer ses sentiments sans être jugé, et que ne nous ne sommes pas responsables de nos sentiments.

Aider l’enfant à exprimer son vécu par le dessin ou le conte

Il est aussi possible d’aider l’enfant à exprimer son vécu à travers le dessin ou le conte, mais aussi par exemple à travers des marionnettes de doigts ou des déguisements, car se mettre dans la peau de quelqu’un d’autre peut aider l’enfant à identifier et libérer plus facilement ses émotions.

Les risques à long-terme d’une trop grande répression des émotions

Une trop grande répression des émotions dans l’enfance est susceptible de créer des troubles psychosomatiques, voire psychiatriques à l’âge adolescent ou adulte : le deuil constitue un facteur de risque à cet égard, et certaines études menées auprès d’orphelins précoces relèvent davantage de troubles psychiatriques à l’adolescence et/ou à l’âge adulte. »