LE REGARD DE Anna Cognet, psychologue clinicienne, enseignante à l’École de psychologues praticiens de Paris et chargée d’enseignement à l’université Paris-Descartes.

Offrir un cadeau au mort, une façon de continuer à l’accompagner

« Deux types d’objets peuvent participer au processus de deuil : les objets qui circulent vers le mort, et les objets que l’on conserve pour soi-même. Dans le premier cas, les objets permettent de rendre hommage au mort, parfois de lui prêter une vie après la mort, ils vont participer à ce que le jeune endeuillé sente avoir réglé ses comptes avec le défunt. En offrant un dessin, un poème, un objet, qui ressemble à lui-même ou qui ressemble au défunt, le jeune fait un cadeau au mort et a le sentiment de rester proche de lui. Alors que le jeune peut ressentir beaucoup de culpabilité, offrir un objet, c’est une façon de dire que l’on continue à accompagner le défunt, que l’on reste proche de lui.

Favoriser le sentiment d’appartenance dans les moments de deuil

Donner un objet, surtout quand il est créé par l’enfant, a un sens important pour lui : il passe des messages, transmet des émotions qu’il n’arrive pas forcément à comprendre ou interpréter et se sépare de quelque chose qui a de la valeur pour lui. Par ailleurs, dans une société où les rituels sont moins structurants, la créativité que certains jeunes vont avoir, la médiation que vont jouer les objets peuvent aussi aider à pallier le moindre sentiment communautaire dans les moments de deuil.

Choisir avec l’enfant un objet incarnant l’autre

Il y aussi les objets que l’on garde du défunt. A l’époque victorienne, on privilégie le souvenir du mort (le memento mori) en gardant une mèche de cheveux, un portrait, voire d’autres objets-reliques. Aujourd’hui, dans nos sociétés hygiénistes, garder des parties du corps ou des reliques a un côté inquiétant. Nous allons néanmoins souvent opter pour des objets qui s’inscrivent dans une certaine continuité du corps ou de l’esprit de l’autre : par exemple des bijoux, un foulard, une cravate, autant d’objets à la valeur affective forte et qui ont été au contact du corps du défunt. On trouve par là une forme de métonymie : cette partie incarne le tout de l’autre.

« L’objet nous rappelle l’autre sans que nous ayons besoin d’y penser tout le temps : avoir un bijou sur soi, porter la montre du défunt, constituent autant de traces de l’histoire que nous avons eue avec lui »

ANNA cOGNET, psychologue

Garder un objet de l’autre pour s’imprégner intérieurement du défunt

Lorsque l’on a perdu quelqu’un et que l’on supporte mal sa disparition, on essaie de le garder vivant à l’intérieur de soi. Or conserver des objets ayant appartenus à celui-ci peut aider à la résilience, à s’imprégner intérieurement du défunt, à penser à ses qualités, sans pour autant que l’être perdu reste à l’intérieur de nous comme une persécution que nous sommes sommés de ne pas oublier. L’objet nous rappelle l’autre sans que nous ayons besoin d’y penser tout le temps : avoir un bijou sur soi, porter la montre du défunt, constituent autant de traces de l’histoire que nous avons eue avec lui.

L’enfant va prêter à l’objet le pouvoir d’un lien avec l’autre

La question de la transmission de l’objet est importante car elle nourrit la symbolique qui se développe autour de celui-ci. Si elle a pu se faire avant le décès, c’est tant mieux, autrement on favorisera l’auto-transmission, en demandant à l’enfant s’il y a des objets particuliers qu’il souhaiterait garder, ou en lui suggérant certains objets. On peut lui dire « ton père, ta grand-mère aurait été content que tu gardes ça ». L’objet va aider à la créativité dans le processus de deuil : l’individu va s’inventer une histoire, comme dans l’imaginaire ou le jeu, on va prêter à l’objet une valeur bien supérieure, le pouvoir d’un lien avec l’autre, comme les enfants le font avec leur doudou. On stimule ainsi des pensées et processus psychiques, plutôt que d’avoir un psychisme sidéré, foudroyé par la mort. Cela peut aider à prévenir d’éventuels deuils pathologiques.

Veiller à ce que les objets soient un support et non une voie cristallisante du deuil

On ne doit pas non plus créer de mausolée dans la maison, les objets ne doivent pas envahir l’espace. Le jeune va normalement trouver une voie pour que l’objet soit un support, et non une voie cristallisante du deuil, mais s’il s’attache à un objet de manière trop pathologique, cela peut être un bon indicateur du fait qu’il ne va pas bien. »