LE REGARD DE Simon Gessiaume, psychologue clinicien à l’Unité de Soins Palliatifs de la Maison médicale Notre Dame du Lac (Rueil Malmaison).

Très souvent, lorsqu’une personne est hospitalisée, et à plus forte raison lorsqu’il s’agit d’un  parent proche, se pose la question de la visite des enfants. « Pensez-vous que je puisse emmener mon enfant au chevet de sa grand-mère ? », « Cela ne va-t-il pas le traumatiser ? ». Ces questions sont souvent amenées par la croyance sous-jacente des adultes que l’enfant serait quelque part « trop jeune » pour être confronté à la fin de vie d’un proche.

Ce désir de protection est tout à fait légitime lorsque l’on est parent. Chez tout un chacun, la fin de vie d’un proche nous confronte au rapport que l’on entretien soi-même face à la mort. En fonction de sa propre enfance, de son parcours de vie, de ses croyances et des mécanismes de défense mis en place tout au long de sa vie, le parent ne réagira pas de la même manière qu’un autre.

S’interroger sur le lien qui unit l’enfant à la personne hospitalisée

Pour élaborer des éléments de réponse, il est avant tout nécessaire de s’interroger sur le lien qui unit l’enfant à la personne hospitalisée. En effet, plus le lien affectif est fort entre l’enfant et le parent hospitalisé et plus l’enfant est « légitime » à venir lui rendre visite. Dans la mesure du possible, on ne devrait pas couper un lien qui existait avant la maladie grave ou l’hospitalisation. Une maman, même en fin de vie, ne cesse d’être une maman pour l’enfant. Il en va de même pour un papa ou un grand parent.

Est-ce que la visite a du sens pour l’enfant ?

Vient ensuite la question du sens. Est-ce que la visite a du sens pour l’enfant ? Pour cela il est nécessaire de l’interroger : « As-tu envie de rendre visite à grand-père ? ». Souvent, si le lien affectif est fort, l’enfant pourra répondre « oui » ou bien « pas tout de suite mais plus tard… ». Si l’on remarque une certaine réticence chez l’enfant, on pourra se demander si sa réponse est conditionnée par sa propre appréhension ou par celle des adultes. En effet, l’enfant est souvent le dépositaire de l’angoisse des parents. Il perçoit finement ce que les adultes attendent inconsciemment de lui et conditionnera sa réponse en retour.

Reconnaître et respecter le temps psychique de l’enfant

Si l’enfant est hésitant à venir, cela signifie peut-être que les choses vont un peu trop vite pour lui. Il sera alors important de respecter ce temps de retrait et de parler avec lui de ce qu’il ressent ou craint. Le temps psychique, chez l’enfant comme chez l’adulte, ne va pas toujours au même rythme que le temps imposé par la société. Il est nécessaire de le reconnaître et de le respecter. Surtout lorsque l’hospitalisation, parfois soudaine, précipite les questions et les angoisses, en venant mettre à l’épreuve les mécanismes de défense. L’approche de la fin de vie a ceci de particulier qu’elle sidère le psychisme. Seul le temps et la parole permettent de fluidifier cela. L’adulte prendra alors le temps de discuter avec l’enfant de ce qu’il ressent, ses craintes et sa culpabilité éventuelle. Il réexpliquera le contexte de l’hospitalisation du proche avec des mots simples, sincères, et adaptés à l’âge de l’enfant. Pour aider l’enfant à verbaliser, le parent pourra parler de son propre ressenti. L’enfant comprendra alors que ses craintes sont souvent partagées, et apprendra à nommer son chagrin ou ce qui lui fait peur.

Préparer la visite pour permettra à l’enfant de tisser des premières représentations et de mettre en place des défenses adaptées

Afin de préparer la visite, l’adulte informera l’enfant sur le lieu d’hospitalisation, sur ce qu’il va voir, les personnes qu’il va croiser, ce qu’il risque de ressentir, etc. Ceci permettra à l’enfant de tisser des premières représentations et de mettre en place des défenses adaptées. Si la personne hospitalisée a beaucoup changé, on préviendra l’enfant. « Tu sais, papa a beaucoup maigri ces derniers temps. Peut-être que cela va un peu t’impressionner…». Au-delà du changement physique, c’est aussi le changement de communication qui va troubler un enfant. Il sera important alors de prévenir l’enfant : « Papa est très fatigué, il parle très peu ces derniers jours. Ce n’est pas de ta faute, c’est la maladie qui l’épuise… ».

Proposer à l’enfant de faire un dessin ou d’acheter un petit cadeau

Si l’enfant reste relativement silencieux mais qu’il désire rendre visite à son proche, le parent, une fois les explications données, pourra proposer à son enfant de faire un dessin ou d’acheter un petit cadeau, qu’il amènera lors de la visite. Ce temps de création ou de recherche permettra à l’enfant de faire émerger un questionnement et de se préparer psychologiquement, tout en respectant son rythme propre.

Se tenir prêt à prêt à faire face à des questions ou des réactions parfois déstabilisantes

Le jour de la visite, le parent qui accompagne l’enfant doit être prêt à faire face à des questions ou des réactions parfois déstabilisantes. Malgré son désir de venir, l’enfant peut se bloquer devant la porte et souhaiter faire demi-tour, par exemple. Si tel est le cas, accordez lui quelques minutes pour exprimer ce qu’il craint et rassurez-le. Si la peur persiste, demandez à un autre adulte qui vous accompagnera ce jour-là de s’occuper de l’enfant pendant votre visite. Généralement après quelques minutes, l’enfant sera de nouveau prêt à voir son parent. Prévoyez une première visite plus ou moins longue en fonction de l’âge de l’enfant et de l’état de santé du patient.

Cette visite pourra se faire dans un premier temps en présence des frères et sœurs, tantes, parrains, etc. En fonction de l’âge des enfants, du lien d’intimité et du désir de chacun, vous pourrez leur proposer d’avoir par la suite un temps privilégié avec le proche.

Un temps de « débriefing » nécessaire pour déceler et désamorcer toute culpabilité imaginaire

Après la visite, vous serez attentifs aux questions et au comportement de votre enfant. Ce temps de « débriefing » est un temps important. Ecoutez l’enfant et ses constructions imaginaires autour de la maladie. Cette étape permet de déceler et de désamorcer toute culpabilité imaginaire.

L’exclusion et le manque de parole viennent marquer douloureusement les enfants

Enfin, rappelons-nous que si les enfants sont marqués par le décès de leur papa ou de leur maman, c’est bien 100% des enfants à qui on a caché la maladie et qu’on a exclu des derniers moments avec le parent qui restent traumatisés. C’est bien plus l’exclusion et le manque de parole, et, pire que tout le mensonge, qui viennent marquer douloureusement les enfants.