Introduction

En France, on compte environ 610 000 orphelins de moins de 25 ans, soit en moyenne un enfant par classe. Ces situations ont des répercussions multiples qui s’expriment notamment en milieu scolaire (conditions de vie souvent modestes du fait de la monoparentalité, davantage de vulnérabilité au stress et aux maladies somatiques, difficultés attentionnelles et mnésiques…). Pourtant, la littérature n’est que peu développée concernant la posture des enseignants et leurs pratiques en la matière. Cette étude avait pour objectif de documenter, de façon exploratoire, les représentations qu’ont les enseignants des jeunes orphelins, comment ils appréhendent leurs besoins, et l’incidence de ces situations sur leur posture professionnelle.

Scolarisation élèves orphelins - visuel "Introduction"

Méthodologie

25 enseignants de la maternelle au lycée, confrontés au cours de leur carrière à la scolarisation dans leur classe d’un ou plusieurs élèves orphelins, ont été interrogés. La situation devait remonter à moins de dix ans et l’enseignant devait être en poste depuis au moins un an. 6 des 25 enseignants interrogés ont connu l’enfant au moment du décès du parent. Des entretiens semi-directifs ont été conduits par une psychologue chercheuse par visioconférence, puis retranscrits intégralement. Les entretiens ont fait l’objet d’un codage manuel puis une analyse thématique de contenu a été réalisée. Elle a permis de dégager les six thèmes majeurs suivants : situation déstabilisante, expérience marquante, ambivalences des orphelins et des enseignants, ajustements des enseignants, mises en sens par l’enseignant, description du contexte.

Scolarisation élèves orphelins - visuel "Méthodologie"

Une situation déstabilisante

Pour l’ensemble des participants, avoir un jeune orphelin dans sa classe constitue une situation déstabilisante. Les enseignants interrogés décrivent un manque d’informations à propos de la situation de l’élève. Ils soulignent aussi le manque de préparation et de formation concernant la prise en charge de ces jeunes. Ils se représentent ces orphelins comme des élèves avec des particularités, en ce qu’ils présentent une plus grande fragilité, sur le plan émotionnel notamment ; ils distinguent néanmoins l’orphelinage d’autres situations difficiles qu’ils peuvent rencontrer, parce qu’ils considèrent que leurs besoins relèvent plus d’habilités sociales que d’ajustements pédagogiques. Ils évoquent des difficultés impactant la vie scolaire, pour l’essentiel des difficultés d’attention, mais aussi des absences et des retards plus fréquents. Enfin, cette situation est vécue comme déstabilisante aussi car cette confrontation leur fait vivre des identifications et des projections émotionnelles ; ils évoquent de la compassion, de l’admiration, de l’attachement vis-à-vis de ces élèves.

Scolarisation élèves orphelins - visuel "Situation"

Des ambivalences émotionnelles

Pour les enseignants, ces élèves ont des besoins notamment d’écoute, d’attention, de se confier, mais ils recherchent dans le même temps de la discrétion et de la normalité. Ils soulignent également combien ils font parfois preuve d’une maturité plus importante, ont des ressources et « font face ». Cette dimension singulière crée une certaine ambivalence pour les enseignants entre des souhaits et des appréhensions, comme celles d’être présent sans trop l’être, ou de ne pas mélanger ce qui relèverait du domaine professionnel et du domaine personnel. Cette ambivalence s’exprime par la préoccupation constante qu’ils ont à rester ou à ne pas « sortir » de leur rôle d’enseignant par des pratiques spécifiques, de la proximité affective, ou sur le plan émotionnel en essayant de ne pas se laisser envahir par leurs propres émotions ou celles de l’élève. Ils reconnaissent réaliser certaines exceptions, par exemple en acceptant une certaine proximité affective chez les plus petits. Toutefois, ils disent aussi veiller à ne pas lui faire un statut particulier et essaient de maintenir une certaine normalité afin que l’orphelin soit considéré comme tous les autres élèves.

Scolarisation élèves orphelins - visuel "Ambivalences"

Les ajustements des enseignants

Tous les enseignants mettent en avant des ajustements, avant tout relationnels. En effet, ils expriment porter une « attention particulière » à ces élèves, se disant particulièrement vigilants voire indulgents avec eux et veiller à leur bien-être. Cette attention se manifeste aussi à des moments particuliers : au moment du décès, par une attention, leur présence aux obsèques, ou lorsque l’élève est débordé par ses émotions. Par ailleurs, les enseignants évoquent leur capacité à faire face dans ces situations. Ces capacités s’expriment de différentes façons, comme lorsqu’ils annoncent le décès d’un parent au reste de la classe et prennent en charge les réactions émotives. Quelques-uns indiquent notamment ne pas avoir été en difficulté lorsqu’il s’est agi d’évoquer la question de la mort.

Scolarisation élèves orphelins - visuel "Ajustements"

Une expérience marquante

Tous les enseignants s’accordent à dire que cette expérience est marquante, notamment du fait d’être confronté à la mort et à la finitude de la vie mais aussi parce que les enseignants semblent se projeter plus amplement et personnellement dans le vécu de ces élèves. Plusieurs d’entre eux font le lien, au cours de l’entretien, avec un vécu personnel ou avec d’autres situations de deuil. Par ailleurs, cette expérience fait vivre aux enseignants des moments particulièrement intenses comme lors du retour en classe de l’élève après le décès, souvent appréhendé par l’enseignant, ou lors de temps de partage en classe maternelle au cours desquels les enfants s’expriment avec une grande spontanéité. Ils évoquent aussi combien parler de la mort est aussi un moment intense, avec la crainte d’être maladroit ou de ne pas trouver les bons mots. Certains mentionnent des circonstances particulières qui viennent aussi rendre cette expérience marquante. Il s’agit, par exemple, d’un décès par suicide ou suite à un féminicide. Enfin, les différentes fêtes, en particulier la fête des mères ou des pères, constituent des moments particulièrement marquants.

Une expérience mise en sens

Si elle marque, cette expérience est aussi mise en sens par la grande majorité des participants, tout d’abord parce qu’ils disent avoir tissé un lien particulier, de confiance notamment, avec l’élève. Les enseignants sont souvent investis par les orphelins comme des confidents. En ce sens, les enseignants rentrent un peu dans leur intimité, ce qui donne une dimension qualifiée de plus intense ou authentique à ce lien. De plus, ils légitiment ce lien particulier en indiquant combien les autres élèves font preuve de soutien et de solidarité. Des conditions peuvent être facilitantes face à la scolarisation d’un jeune orphelin. Le sentiment de se sentir entourés et soutenus par les collègues, mais aussi par des personnes ressources telles que la psychologue ou la directrice, y participe. Avoir de l’expérience dans le métier est aussi mentionné comme rendant la situation plus facile à gérer. Par ailleurs, pour certains, la situation est d’autant plus simple à accompagner que l’on dispose d’informations sur celle-ci, comme la nature et le contexte du décès, pour pouvoir en tenir compte et y faire attention. Les enseignants expriment aussi l’importance de pouvoir parler du jeune, notamment avec le parent restant. Au collège ou au lycée, cette absence de lien avec le parent restant, voire des tensions ou incompréhensions, peut s’avérer parfois source de difficultés.

Scolarisation élèves orphelins - visuel "Expérience mise en oeuvre"

Conclusion

Ces résultats viennent conforter les données déjà présentes dans la littérature sur les difficultés rencontrées par les professionnels. De même, leurs représentations concernant les conséquences de l’orphelinage, notamment s’agissant des répercussions psychosociales ou scolaires ainsi que des besoins des orphelins, vont dans le sens des précédentes études. Ces résultats viennent toutefois apporter des nuances quant à l’appréhension de la posture professionnelle enseignante face à ces situations et aux ambivalences émotionnelles qui la caractérisent. En effet, si les enseignants sont habitués à ajuster leur posture en fonction de la diversité des élèves et des situations auxquelles ils sont confrontés et s’ils ont le souci de rechercher et de maintenir un équilibre parfois délicat entre leurs différentes fonctions, entre ce qui relève de l’individuel et du collectif, ou entre le professionnel et le personnel, la frontière est parfois délicate. Elle apparaît particulièrement ténue lorsqu’ils sont confrontés à l’orphelinage, tant dans la relation à l’orphelin que vis-à-vis de son parent restant. En dépit des difficultés rencontrées, les enseignants sont ainsi aussi capables de faire face, d’affronter ces situations et d’en retirer une expérience.

Scolarisation élèves orphelins - visuel "Conclusion"