Introduction

1 850 enfants de moins de 15 ans et 450 adolescents de 15 à 17 ans déclarent un cancer chaque année en France. Si le taux de survie à 5 ans dépasse aujourd’hui 80 % et s’avère alors généralement synonyme de guérison, certains cancers pédiatriques restent malheureusement incurables. Les jeunes peuvent alors être amenés à être accompagnés par une équipe de soins palliatifs pédiatriques (SPP). Si le diagnostic de la pathologie puis l’entrée dans les traitements aigus entraînent une suspension temporaire de la scolarité, souvent de plusieurs mois, et un renversement des priorités, l’école joue un rôle majeur en termes de socialisation et construction identitaire. C’est aussi le cas pour les jeunes atteints de cancer incurables : accompagner leur scolarisation, en milieu ordinaire lorsque cela est médicalement possible et souhaité par le jeune, fait partie des missions des équipes de SPP.

Méthodologie

Nous avons souhaité explorer plus amplement l’état des connaissances relatives au vécu de ces jeunes, des familles et des professionnels, aux motivations de cette scolarité, aux pratiques existantes et aux éventuelles difficultés rencontrées. Cet état de l’art a été effectué au mois d’avril 2022. 44 publications ont été identifiées, datées de 1996 à 2022, dont 40 françaises et seulement 15 études. La majorité des publications proviennent du domaine de la psychologie, néanmoins les sciences de l’éducation et la sociologie sont également représentées. Les publications identifiées tendent majoritairement à explorer le vécu des enseignants, dans une moindre mesure celui des enfants et des parents, et très rarement celui des professionnels de santé et d’action sociale.

Modalités de scolarisation des jeunes en situation palliative

Différentes modalités existent pour assurer une scolarité inclusive des élèves malades. Tout d’abord, la scolarité à l’hôpital, assurée par des équipes enseignantes spécialisées ou des enseignants bénévoles, favorise une scolarité lors des hospitalisations longues ou pour des enfants à l’état de santé précaire. L’enseignement peut également avoir lieu à domicile, où différentes structures peuvent intervenir. Le Service d’Assistance Pédagogique à Domicile (SAPAD) peut proposer des enseignants spécialisés à domicile ou en établissement, ainsi qu’un dispositif de visioconférence permettant au jeune de suivre des cours de son école d’origine et d’être en lien avec ses camarades, avec le choix d’être vu ou non. Enfin, si l’enfant est en condition physique suffisamment bonne, il peut retourner poursuivre sa scolarité en milieu scolaire ordinaire. Il est alors impératif que des aménagements soient mis en place, pour répondre aux besoins spécifiques de chaque enfant (fatigabilité, douleur, accessibilité, etc.), à travers un Projet d’accueil individualisé (PAI), ou un Projet Personnalisé de Scolarisation (PPS) si l’enfant présente un handicap.

Pourquoi scolariser un enfant ou adolescent en soins palliatifs ou en fin de vie ?

De l’annonce de la pathologie jusqu’à un stade très avancé de celle-ci, la majorité des jeunes disposent d’un désir fort de poursuite des apprentissages. La scolarité est un élément central de la vie du jeune, qui passe la majorité de son quotidien à l’école. Il y grandit, y noue l’essentiel de ses relations sociales et la scolarité peut s’avérer gratifiante s’il y obtient de bons résultats. Elle tient un rôle identitaire essentiel lors que la maladie crée une rupture, arrache le jeune à son milieu de vie et transforme son statut d’« élève » en celui de « patient ». La reprise de la scolarité permet ainsi au jeune de recréer un lien avec le quotidien et de retrouver un sentiment de continuité, de normalité, alors même qu’il traverse une période caractérisée par l’anormalité. L’école constitue en outre un apport social essentiel. Aller à l’école, participer aux sorties scolaires, aux enseignements sportifs ou simplement s’y déplacer pour les repas et la récréation peuvent permettre au jeune de rompre avec son corps souffrant. Cette mobilisation lui permet ainsi de se défendre contre l’angoisse de mort.

Quels obstacles à la scolarisation d’un enfant ou adolescent en situation palliative ?

La littérature invite à être vigilant, au regard de la situation très délicate de ces jeunes. La maladie peut en effet impacter de façon très importante l’état général de l’enfant, que ce soit au niveau physique (i.e. fatigabilité, douleur, nausées) ou cognitif (i.e. capacité de concentration, mémorisation). Chaque jeune présente un tableau clinique spécifique et nécessite un aménagement important, tant en termes d’organisation que de socialisation avec les pairs et les enseignants, afin de permettre la meilleure réintégration scolaire possible. Le jeune et sa famille doivent également trouver un équilibre qui peut s’avérer complexe, afin de faire coïncider l’agenda scolaire et thérapeutique. Le retour dans un milieu scolaire bruyant et sollicitant peut nécessiter de sa part un effort d’adaptation qui peut être éprouvant ; il est alors demandé au jeune qu’il connaisse et maîtrise sa maladie, développe un certain contrôle sur ses symptômes et signes de souffrance, afin de pouvoir être autonome quant à ses besoins. Enfin, le vécu, la maladie et la souffrance de ces jeunes les conduit souvent à se sentir différents et incompris de leurs pairs.

Les interrogations des enseignants

Cette situation s’apparente à un impensé pour les enseignants, qui pour beaucoup ne comprennent pas le sens du projet de scolarisation face à la mort à venir. Le manque de formation revient régulièrement dans les travaux : les enseignants rapportent se sentir en difficulté pour parler de la maladie et de la mort en classe, craignant de commettre un impair, de s’immiscer dans le complexe sujet des religions ou différences culturelles, ou d’ouvrir un sujet en prise avec l’intimité familiale. Les enseignants craignent aussi de manquer d’informations quant à la situation si particulière du jeune, mais aussi de briser le secret médical. Ils indiquent avoir besoin d’informations et de conseils pour prendre en charge le jeune, connaître son état de santé, ce qu’il est en capacité de faire ou non, les précautions à prendre, les besoins et difficultés possibles ainsi que l’équipement qui pourrait être nécessaire. Ce manque d’information s’accompagne souvent d’une crainte de la mort subite en classe, cas pourtant très rare. Les enseignants redoutent par ailleurs un besoin d’aménagement et d’adaptation important, alors même que les effectifs des classes sont nombreux et que les situations particulières sont nombreuses.

Le point de vue des parents

Le point de vue des parents a été peu étudié dans la littérature. Néanmoins, il a été mis en évidence que certains parents pouvaient refuser la demande de scolarisation de leur enfant, ne comprenant pas cette demande sans avenir. Par ailleurs, des parents, sensibles au désir de leur enfant mais ne supportant pas la séparation induite par le temps scolaire, se substituent parfois à l’enseignant afin de passer un maximum de temps auprès de lui. Enfin, de nombreux parents souhaitent apporter à leur enfant une vie la plus normale possible et cherchent alors à scolariser leur enfant en milieu scolaire ordinaire, s’accrochant à la vie. Il importe toutefois à ce sujet d’être vigilant face au risque d’acharnement scolaire. Les retours des parents font aussi état d’un besoin d’être entendus, notamment vis-à-vis de la classe et de l’équipe pédagogique. Enfin, l’impact de la situation sur la fratrie doit être pris en compte.

Des dispositifs pionniers pour favoriser la réintégration en milieu scolaire

Les ERRSPP, en faisant la triangulation entre l’école, la famille et l’hôpital, aident à mettre en place de tels dispositifs d’accompagnement mais aussi à sensibiliser les établissements scolaires et les équipes pédagogiques. Des outils sont développés pour permettre à des enfants empêchés de se rendre à l’école d’assister aux cours, via des robots de télé-présence. La littérature a par ailleurs montré que la réussite de cette réinsertion dépend étroitement de la bonne communication entre la communauté éducative et la famille, communication parfois difficile à mettre en place, ainsi que d’une collaboration entre l’équipe pédagogique et médicale pour assurer un travail multidisciplinaire. Certains services de pédiatrie ont élaboré des programmes de réintégration scolaire en milieu ordinaire, qui favorisent une libération de la parole sur la maladie et la mort, ainsi qu’une amélioration de la communication au sein des professionnels de l’établissement. La sensibilisation des camarades engendre par ailleurs une diminution des risques de stigmatisation.

Scolarisation élèves orphelins - visuel "Expérience mise en oeuvre"

Conclusion

Si la scolarisation en milieu ordinaire des jeunes en situation palliative constitue un impensé de l’institution scolaire et une situation source de craintes, et parfois empreinte de difficultés pour les acteurs. La littérature souligne aussi combien l’expérience scolaire participe largement de la construction identitaire de l’élève-patient et peut se révéler riche de sens et vectrice de solidarités renouvelées. Alors que les recherches existantes, majoritairement en psychologie, explorent avant tout le vécu enseignant de ces situations, et que la dernière décennie a vu des changements importants (institutionnalisation des soins palliatifs pédiatriques, paradigme de l’école inclusive, etc.). il nous paraît important que de futures recherches, interdisciplinaires, questionnent le vécu de l’ensemble des acteurs impliqués, notamment des jeunes eux-mêmes et de leurs camarades, et ce dans une perspective longitudinale, s’attardant notamment sur le décès du jeune et l’après.