Introduction

En France, 15,9% des étudiants (18-25 ans) apportent une aide significative et régulière à un proche malade ou souffrant d’un handicap et sont considérés comme des jeunes adultes aidants (JAA). Alors que ce rôle a des incidences multiples sur leur santé et leur trajectoire professionnelle, peu de travaux s’intéressent à leur vécu des situations de fin de vie et de décès du proche aidé. Ainsi, l’objectif principal de cette étude était d’explorer le vécu de la maladie et de la fin de vie du proche aidé des jeunes adultes aidants (18-25 ans), afin de mieux répondre à leurs besoins spécifiques et de développer des dispositifs et politiques publiques pour améliorer leur identification et leur accompagnement.

Méthodologie

15 jeunes adultes aidants endeuillés de moins de 25 ans au moment de l’aide et de la perte du proche aidé ont participé à cette étude. Ils ont été recrutés dans les réseaux de la SFAP et associations accompagnant des jeunes endeuillés ou des jeunes aidants, puis ont été interrogés. Parmi eux, 13 étaient aidants d’un parent, les deux autres d’un grand parent. La plupart des personnes aidées étaient atteintes d’un cancer. En moyenne, ces jeunes adultes aidants avaient perdu leur proche depuis 3 ans. 15 entretiens semi-directifs ont été menés par une psychologue chercheuse en présentiel et par visio-conférence dans le but d’explorer comment se sent le jeune depuis le décès de son proche. Après une retranscription complète et un codage de chaque entretien, une analyse thématique de contenu a été réalisée.

L’importance du regard d’autrui dans le vécu de l’aidance

Les JAA expriment un soulagement lorsque la maladie est devenue visible. Cela marque pour certains le début d’une compréhension plus claire de la situation, rendant plus concrètes certaines missions du rôle d’aidant. Cette période soulève des interrogations sur la singularité de ce rôle, des interrogations également nourries par le regard d’autrui.
Deux vécus distincts de l’aidance cohabitent. Alors que certains la considèrent comme normale, d’autres en rapportent une expérience plus négative marquée par l’invisibilité de leur rôle, entraînant un manque de soutien et un sentiment d’étrangeté par rapport à leurs pairs. Cette expérience négative fait émerger un désir de rompre le quotidien difficile et peut amener le jeune à partir du domicile pour obtenir du répit ; elle s’accompagne souvent d’un sentiment de culpabilité.

Des conséquences ambivalentes du rôle d’aidant

Les JAA décrivent des conséquences tant positives que négatives à leur rôle. D’une part, il renforce le lien de proximité avec le proche malade et favorise l’autonomie, l’indépendance et le développement de nouvelles compétences et aptitudes du fait des responsabilités qui y sont associées. Cependant, il implique que le jeune centre sa vie autour de celle du proche malade ; une inversion des rôles « parentification » est souvent constatée. S’ils consacrent un temps important à l’aidance, les jeunes expriment en parallèle la nécessité de concilier cette responsabilité avec leur parcours estudiantin ou professionnel. Or obtenir un soutien adéquat pour parvenir à cette conciliation est souvent un défi : d’après ces jeunes, peu de place était accordée à l’évocation de ce sujet personnel auprès du corps enseignant et peu de reconnaissance était trouvée auprès des enseignants au courant de la situation.

Une forte impuissance face à la dégradation de l’état du proche

Le récit des JAA sur la fin de vie de leur proche est marqué par une douloureuse observation de la dégradation de l’état du proche malade : « Je pensais pouvoir fêter mon anniversaire avec elle, elle était là physiquement, elle était consciente d’une certaine manière, mais ce n’était plus la même personne, elle a été incapable de me souhaiter joyeux anniversaire » (Maé, 27 ans, JAA de sa mère). Cette expérience provoque un choc émotionnel considérable entraînant impuissance, sentiment d’injustice et conduit certains jeunes à un déni de cette dégradation. Alors que la fin de vie du proche se déroule dans des contextes variés (hospitalisation à domicile, unités de soins palliatifs, etc.) les jeunes expriment là aussi manquer de soutien, d’accompagnement et d’informations de la part des professionnels de santé sur la façon d’accompagner la fin de vie.

Des stratégies de préparation mentale face au décès

Accompagner la fin de vie du proche conduit l’aidant à se préparer mentalement au décès de son proche en se rendant compte de son état et de l’issue à venir : « Il m’a dit ‘j’y arrive plus’ et c’est à ce moment-là que j’ai compris que bon, s’il y arrivait plus, c’est qu’à un moment donné il allait lâcher l’affaire, et que c’était plus possible » (Sam, 21 ans, JAA de son père). La préparation au décès est majoritairement psychologique, et se traduit par la mise en place de processus émotionnels et cognitifs visant la compréhension et l’acceptation de la situation. Elle inclut également des ritualisations, comme la fête en amont de certains évènements (anniversaires, etc.) tant que leur proche est encore présent. En dépit de cette ponctuelle préparation mentale au décès, les récits autour de ce moment sont marqués par la caractérisation de la mort comme soudaine. Les jeunes partagent diverses réactions à l’annonce du décès du proche comme le choc, la colère, la tristesse, autant d’émotions que l’on retrouve dans le processus de deuil. Alors que certains ont choisi de prendre un moment pour rester auprès du corps du défunt et lui faire leurs adieux, d’autres indiquent avoir immédiatement assumé la responsabilité de la préparation des obsèques.

Conclusion

Cette étude révèle les expériences complexes de la maladie et des situations de fin de vie du proche des JAA, reflétant des similitudes avec celles des aidants adultes. Elle met en avant la non-reconnaissance de ces jeunes et les souffrances qui découlent du manque de soutien et d’accompagnement. Les professionnels de la santé, de l’éducation et de l’accompagnement social ont un rôle essentiel à jouer pour reconnaître et soutenir les JAA dans leur parcours. La prise en compte de leurs besoins spécifiques peut contribuer à améliorer leur bien-être et à faciliter leur transition vers l’âge adulte. Il apparaît important de poursuivre l’exploration du vécu des situations de fin de vie et de décès des jeunes aidants en s’intéressant également au point de vue d’autres membres de la famille et des professionnels les accompagnant, afin de renforcer le travail de repérage de ces jeunes dans le but de leur proposer un accompagnement adapté à leurs besoins.