« Au revoir Blaireau », « Lili a peur de la mort »… Certains albums pour enfants abordant la question de la mort et du deuil sont presque devenus des ouvrages d’anthologie. Un des premiers objets culturels aux mains des enfants, les albums peuvent être un précieux support pour initier une pédagogie de la perte. Tour à tour synonymes de détente, moyens d’éducation, voire supports thérapeutiques, ils peuvent aider les plus jeunes à exprimer un ressenti et verbaliser des émotions.

L’éclairage de Christine Fawer Caputo, docteure en sciences de l’éducation, professeure associée à la Haute Ecole Pédagogique de Vaud (Suisse), spécialisée dans l’éducation à la perte et dans l’accompagnement du deuil à l’école. Co-auteure de La mort à l’école: annoncer, accueillir, accompagner (De Boeck Supérieur, 2015).

 

Un des premiers objets culturels que l’enfant va avoir en sa possession et qui va l’aider à se construire

Les albums de jeunesse donnent aux enfants l’occasion d’être confrontés à des textes qui les interpellent, les intéressent, leur font plaisir, tout en stimulant leur curiosité et en enrichissant leur imaginaire. Dans un album, le texte et les images sont généralement complémentaires, car il ne s’agit pas de simples illustrations. C’est aussi l’un des premiers objets culturels que l’enfant va avoir en sa possession et qui va l’aider à se construire, à s’enrichir d’idées, de valeurs, à se forger une personnalité et des opinions, à travers des thèmes variés abordés avec tact et pudeur. En effet, dans la littérature jeunesse, on retrouve nombre de situations et de problèmes affectifs que l’enfant peut rencontrer : il s’agit d’expériences quotidiennes, de séparations, de conflits, de premiers contacts avec le monde extérieur, d’expériences de joies et de peines, etc. Ainsi, l’enfant découvre une histoire, des émotions, des vérités qui lui permettent de mieux comprendre le monde qui l’entoure, mais qui l’aident aussi à exprimer ses propres ressentis.

Synonymes de détente, les albums peuvent également être des moyens d’éducation, voire des supports thérapeutiques

Les albums ont donc un double rôle : s’ils sont synonymes de détente, ils peuvent aussi servir de moyen d’éducation pour le développement de l’enfant, voire de support thérapeutique. Ce type d’ouvrage permet à l’enfant de se décentrer et lui donne des outils pour affiner son raisonnement et s’émanciper de son seul point de vue. « La fiction littéraire, loin de trahir et de déformer la réalité, la révèle dans ce qu’elle a de plus profond. Elle établit un pont entre l’expérience singulière – qui, par son caractère trop intime, empêche la prise de recul et l’analyse – et le concept – qui, par sa froideur, peut nuire à l’implication personnelle. » (Chirouter, 2007, p. 17)

Une identification possible aux personnages illustrés, qui proposer des façons d’exprimer un ressenti

La littérature de jeunesse contribue également à une meilleure appréhension de thèmes sensibles, comme la maladie, la mort et le deuil. Elle aide les enfants à se préparer à des situations douloureuses ou à des cérémonies d’adieux, car elle leur permet de se confronter à des réalités qu’ils n’ont pas encore forcément vécues dans leur quotidien. Elle peut également aider les parents et les acteurs éducatifs à mieux comprendre les réactions des enfants face au deuil ou à anticiper certaines situations complexes ou tout simplement à aborder ce thème délicat. Car les « personnages littéraires ne se contentent pas de décrire les états de deuil, ils proposent aussi des façons d’exprimer ce que l’on ressent et suggèrent des moyens de vivre le plus sainement possible cette période difficile de deuil. » (Fréchette, 1989, p. 14) Les jeunes enfants, en s’identifiant aux personnages illustrés, pourront ainsi se projeter, sans conséquences néfastes, dans des situations de mort ou de deuil.

Trois personnages meurent : les êtres humains, les animaux anthropomorphisés et les animaux de compagnie

Dans les albums, il y a principalement trois types de « personnages » qui meurent. Les êtres humains, les animaux anthropomorphisés, et les animaux de compagnie. Les êtres humains et les animaux anthropomorphisés remplissent la même fonction, car l’anthropomorphisation consiste à modifier l’apparence et le comportement d’un animal (ou d’un objet) pour le faire ressembler à l’homme. Le fait que le héros de l’histoire soit un animal facilite l’adhésion du jeune lecteur et lui permet de s’identifier au personnage tout en se décentrant. Cette identification l’autorise à participer affectivement aux aventures racontées, comme si c’était les siennes, tout en le dispensant des efforts et des risques éventuels auxquels il serait confronté s’il devait lui-même les réaliser, puisque la distance protectrice de l’animal l’en préserve.

La mort de grands-parents, souvent l’une des premières confrontations de l’enfant à la mort

On trouve en premier lieu, la mort de grands-parents. C’est souvent une des premières confrontations de l’enfant à la mort. Voire d’un arrière-grand-parent, car la qualité des soins médicaux et l’augmentation de la longévité de vie font que ce sont souvent les arrière-grands-parents qui sont les premiers aïeuls à mourir dans l’entourage de l’enfant. Toutefois, les liens relationnels avec cette génération sont rarement intenses et leur décès n’affecte souvent pas – ou peu – l’enfant. Il n’en va pas de même pour les grands-parents. Les générations actuelles sont souvent encore dynamiques, en bonne santé et disponibles, ce qui leur permet de construire un lien durable et fort, car ils sont fréquemment amenés à s’occuper des petits-enfants, que ce soit occasionnellement, pour le plaisir, ou plus régulièrement en fonction du besoin de garde des familles.

La mort de la « maman », bien plus représentée dans la littérature enfantine

Les albums abordent aussi la disparition d’un des parents, voire – plus rarement – des deux. La mort de la maman est quantitativement plus représentée que celle du papa. Il est probable que ce soit lié au fait que les mères s’occupent habituellement plus des jeunes enfants. On peut toutefois espérer qu’à l’heure du partage des tâches et de la volonté de favoriser l’égalité entre les parents, cette différence dans les albums pourra s’estomper. La mort d’un parent est toujours vécue douloureusement dans la littérature enfantine et diverses réactions et émotions sont mises en scène : l’incompréhension, la colère, le sentiment d’abandon, la tristesse, l’anxiété par rapport à l’avenir, etc. Néanmoins, dans la plupart des ouvrages, passées les étapes du deuil, la vie continue et les enfants peuvent s’appuyer sur l’autre parent et la famille élargie. Toutefois, comme pour les grands-parents, les parents décédés continuent de vivre dans le souvenir de ceux qui restent et cet élément est régulièrement mis en évidence.

Les réactions ambivalentes des enfants confrontés à la mort d’une frère ou d’une sœur, un thème fréquent des albums

Autre catégorie d’humains – ou d’animaux anthropomorphisés – à décéder, ce sont les membres de la fratrie. Si chaque perte est différente, la mort d’un frère ou d’une sœur est particulière, d’abord parce que cela prouve à l’enfant qu’il peut aussi mourir. Ensuite, parce qu’il peut développer une forte culpabilité, liée aux sentiments hostiles ou ambivalents qui existent souvent entre les membres d’une fratrie. Et enfin parce que l’autre est mort, mais que lui est encore en vie. L’enfant peut aussi parfois ressentir de la colère envers les parents qui n’ont pas su protéger leur fils ou leur fille. De plus, quand un frère ou une sœur décède, toute l’énergie de la famille en général, et des parents en particulier, est naturellement concentrée vers le drame ; ce qui peut amener les enfants restants à se sentir seuls et rejetés, alors qu’à l’inverse, ils aimeraient, à ce moment-là, se sentir aimés, entourés et consolés. Ils peuvent alors adopter deux attitudes opposées : soit cacher leur tristesse et ne pas l’exprimer dans le but de protéger les parents qui souffrent, ou alors montrer des comportements provocateurs pour attirer leur attention et vérifier leur attachement. Ces diverses réactions sont souvent mises en scène dans les albums.

La perte d’un animal de compagnie, compagnon de jeux de l’enfant, se retrouve aussi dans les livres

Dans les autres catégories de décès, on trouve les amis, qui disparaissent soit après une maladie, soit par mort naturelle. Mais également les animaux – non pas anthropomorphisés mais dans leur fonction première – que ce soient des animaux de compagnie (chien, chat, volatile, poisson, etc.) ou des animaux sauvages. Que ce soit l’oiseau sans vie trouvé au détour d’une promenade, ou la mouche importune qu’on tue d’un coup sec, les animaux décédés sont, la plupart de temps, le premier contact du jeune enfant avec la mort, et cette découverte amène régulièrement bon nombre d’interrogations. L’animal familier a, par contre, un statut particulier, car un lien d’attachement plus ou moins fort et durable peut se créer, en fonction du type d’animal et de la durée de la cohabitation avec l’enfant. Ce dernier perçoit souvent son animal comme un compagnon de jeux, avec lequel il peut aussi partager joies et peines. Sa mort peut donc l’affecter considérablement et il est important que les parents prennent en considération son chagrin et lui permettent de vivre réellement ce deuil. Il ne faut pas cacher à l’enfant la mort et la cause de mort de l’animal, ni se dépêcher de le remplacer pour éviter qu’il n’ait à souffrir de cette disparition. Sinon, l’enfant n’osera peut-être pas – ou plus – exprimer ses sentiments, ce qui peut parfois entraîner des complications dans la résolution du deuil. À noter que le décès d’un animal, du moins dans les livres, permet aux parents d’aborder plus facilement le thème de la mort et du deuil en général. Il est en effet moins douloureux de s’identifier à un héros qui a perdu un animal plutôt qu’à un personnage qui a perdu un parent ou un frère. Si l’enfant lecteur a lui-même vécu ce genre de perte, la reconnaissance des émotions douloureuses à travers l’histoire racontée l’aideront à verbaliser les siennes et à comprendre que le chagrin passera un jour.

Des ouvrages encore rares sur le suicide ou sur la mort subite du nourrisson

Notons encore que la cause de mort la plus répandue dans les albums est la mort naturelle, soit de vieillesse. Elle concerne tant les humains (et par là même les animaux anthropomorphisés) que les animaux de compagnie. Beaucoup d’albums évoquent aussi les accidents et la maladie comme causes de mort possible. Plus rarement, on trouve des ouvrages sur le suicide ou sur la mort subite du nourrisson. Certains albums illustrent aussi – mais souvent partiellement – les rituels funéraires qu’on peut s’attendre à trouver dans notre société occidentale : prendre congé du défunt, participer à la cérémonie des funérailles, voir le cercueil, aller au cimetière, se recueillir sur la tombe, etc. Ce type d’album s’avère être un bon outil lors de la mort d’un proche, si on souhaite préparer les enfants à ce qu’ils vont vivre ensuite avec leur famille.

Des outils adéquats pour une éducation à la perte

La littérature de jeunesse offre donc une perspective intéressante pour sensibiliser l’enfant à la mort et au deuil. Le vocabulaire utilisé ainsi que les illustrations pertinentes et souvent superbes font des albums jeunesse des outils adéquats pour une éducation à la perte.