S’ils souffrent psychiquement de l’expérience de la perte, la mort peut apparaître pour les plus jeunes comme une réalité lointaine, difficilement tangible. La conceptualisation de la mort comme rupture radicale, irréversible et universelle, s’acquiert au fil du développement psychoaffectif de l’enfant. S’il est toujours arbitraire de définir des stades précis, il est important de comprendre la façon dont ces derniers développent progressivement une compréhension intellectuelle du concept de « mort ».  

L’éclairage de Caroline Tête, documentaliste scientifique au Centre National des Soins Palliatifs et de la Fin de Vie.

 

 

L’enfant n’est pas trop jeune pour comprendre ni pour souffrir de la perte

Parler de la mort est d’autant plus complexe à aborder lorsqu’un jeune est touché de près ou de loin, que ce soit parce qu’il est lui-même en situation de fin de vie ou parce qu’il est en deuil. Au malaise de l’évoquer s’ajoute l’instinct de préservation d’un être jeune. Cette tentation de préserver les jeunes en dissimulant, voire en taisant, l’événement douloureux est d’autant plus prégnante qu’elle est renforcée par de fausses croyances comme « il est trop jeune pour comprendre » ou « il n’a pas l’air malheureux ». La préservation des jeunes n’est pas la seule réserve. En effet, avec les progrès techniques de la médecine, l’espérance de vie s’allonge et il n’est pas rare que des adultes affrontent leur premier décès en même temps que les jeunes qui les entourent. Ainsi, ces adultes se retrouvent en double difficulté : faire face au décès d’un être cher et transmettre cette expérience aux jeunes sans véritablement de recul.

Face à une mort vécue comme un abandon, la nécessité d’un accompagnement

Pourtant, tout comme l’adulte, les jeunes ont besoin, quel que soit leur âge, de faire face à la mort et, par la suite, de faire leur deuil : celle de sa propre vie ou celle d’un être cher. La mort est vécue par eux comme un abandon. Ne pas les accompagner dans cet événement, c’est risquer de façonner des adultes qui redouteront l’attachement ou qui manqueront de confiance envers les autres puisque les adultes en qui ils avaient confiance leur ont « menti ». Pour aider au mieux les adultes et les jeunes à faire face, il apparaît essentiel d’avoir des repères sur la conception de la mort et du deuil chez l’enfant.

Pour les plus jeunes, la mort n’est pas naturelle, elle est réversible et contagieuse

Cette conception se construit autour de trois croyances. Pour les jeunes, la mort n’est pas naturelle. Les contes et les histoires que les adultes leur lisent sont souvent empreints de meurtres à l’exemple de Mufasa dans le Roi Lion ou la grand-mère du Petit Chaperon rouge. La maladie et les accidents sont souvent occultés dans leur conception de la mort. Les jeunes ont tendance à penser que la mort est réversible. Les aires de jeux résonnent des cris d’enfants qui jouent aux cowboys et aux indiens, aux gendarmes et aux voleurs, aux super-héros et super-vilains : lorsque l’enfant « meurt », il se relève et recommence. Le même phénomène est observable pour les adolescents avec les jeux vidéo : les personnages ont souvent plusieurs vies. Lorsqu’ils sont confrontés à la mort et au deuil, les jeunes ont enfin l’idée que la mort est contagieuse. Cette idée peut être renforcée à l’occasion de l’annonce médiatisée de la mort de célébrités, lorsqu’ils entendent les adultes évoquer la croyance selon laquelle les célébrités meurent toujours par trois ou que le décès d’une célébrité entraîne une vague de suicides de fans comme ce fut le cas pour Mike Brant ou Kurt Cobain.

La mort vient heurter les croyances des jeunes et chamboule le monde tel qu’ils le conçoivent. Accompagner un jeune en fin de vie ou en deuil, c’est reprendre ses croyances et l’amener en douceur à modifier sa conception de la mort tout en tenant compte de son développement psychique. En effet, la notion de mort évolue avec l’âge et l’accompagnement se doit de suivre cette évolution.

Chez les tout petits, la mort est perçue comme une absence physique prolongée

L’enfant de 0 à 3 ans considère la mort comme une absence physique prolongée. Il réagit selon le schéma comportemental proposé par John Bowlby dans son étude de l’attachement et de la perte. L’enfant manifeste une phase de protestation suivie d’une phase de désespoir puis d’une phase de détachement. Sa détresse va alors varier selon s’il y a ou non une présence physique substitutive. Si la substitution de bras féminins semble instinctive et naturelle, il est important d’y être vigilant si l’être cher décédé est une figure masculine proche de l’enfant, notamment le père.

Avant 6 ans, la toute-puissance de la pensée magique

L’enfant de 3 à 5 ans au stade terminal de sa vie aura peur de la séparation, d’être abandonné par ses parents. En deuil, l’enfant s’imagine être la cause de la mort de l’être cher : c’est l’âge de la toute-puissance et de la pensée magique. Comme il prend tout au premier degré, il s’imagine en être responsable, par exemple s’il a souhaité la disparition de son père ou de sa petite sœur pour avoir tous les câlins de sa mère. Sa culpabilité sera d’autant plus vive qu’il sera en pleine rivalité œdipienne. L’enfant, qui entame aussi à cet âge le questionnement et les premiers jeux sur la mort, l’associe à l’immobilité. Il est alors dans l’attente du retour du défunt.

Vers 6 ans, la prise de conscience du caractère naturel, irréversible et universel de la mort

L’enfant de 6 à 8 ans gravement malade a une très forte culpabilité et vit sa maladie comme une punition. En deuil, il commence à acquérir la notion de mort irréversible. Il se met à entrevoir la mort comme un processus universel et naturel. Pour lui, « c’est normal de mourir quand on est vieux ». Il s’intéresse beaucoup au devenir du corps après la mort. Il extériorise moins son chagrin et se sent différent des autres enfants. En d’autres termes, il a peur de ne plus être normal et peut en éprouver de la honte.

Une réflexion qui s’esquisse progressivement sur le sens de la vie et la vie après la mort

L’enfant de 8 à 12 ans commence à réfléchir sur le sens de la vie, sur la vie après la mort, l’existence d’un Dieu. Il se pose des questions non seulement sur la mort en général, mais encore sur celle de ses parents et sur sa propre mort. Il prend conscience des implications d’un décès dans sa propre vie, dans son avenir. Il ressent également le besoin de comprendre les causes véritables de la maladie sous un angle médical et scientifique.

A la pré-adolescente, une conception de la mort proche de celle des adultes et une situation de double deuil

Les jeunes de 12 ans et plus sont en situation de double deuil : le deuil de l’enfance et le deuil d’un être cher ou celui de son existence future si l’adolescent est en fin de vie. Il leur est difficile de consacrer de l’énergie psychique au travail de deuil car ils dépensent déjà cette énergie dans leur travail de deuil de l’enfance pour se construire en tant qu’adulte. De plus, l’étiquette « endeuillé » entre en conflit avec l’identification aux pairs, ce qui nécessite de respecter la pudeur de l’adolescent sans entretenir le tabou de la mort et du deuil. Enfin, l’adolescence est connue comme la période où l’individu flirte avec la mort en se mettant en danger. Le deuil peut alors exacerber certains comportements à risque (addictions, par exemple).