Réalité incontournable et universelle, la mort est un sujet qui interroge depuis l’aube de la philosophie, et qui se retrouve souvent dans les questions existentielles juvéniles. A l’adolescence, les questions métaphysiques et la volonté d’échanger autour d’un thème largement occulté ne sont pas en reste non plus. Comment ouvrir des espaces de philosophie autour de la vie comme de la mort ? Comment initier et inviter petits et grands à faire de la mort un objet de réflexion ?

L’éclairage de Michel Tozzi, professeur émérite en sciences de l’éducation, chercheur et formateur en philosophie avec les enfants, Président de l’Université Populaire de la Narbonnaise. Co-auteur de l’ouvrage Pourquoi et comment philosopher avec des enfants? De la théorie à la pratique en classe (Hatier, 2018).

 

Un thème central en philosophie, que l’on aborde en s’appuyant sur la raison et la sagesse 

La réflexion sur la mort est un thème central en philosophie, comme dans les religions, mais en s’appuyant sur la raison et la sagesse plutôt que sur la croyance et la foi : on se demande ce qu’elle est, sa signification pour l’humanité, l’attitude à tenir devant la peur de la mort. Par exemple Socrate, condamné à mort, explique très calmement à ses disciples en pleurs pourquoi il n’a pas peur de la mort, ayant toute sa vie cherché à séparer son âme de son corps pour prendre soin de celle-ci, séparation que réalise la mort. Epicure la dédramatise, parce qu’avant de mourir, c’est trop tôt pour y penser, et après c’est trop tard. Epictète le stoïcien propose des exercices spirituels pour s’accoutumer à son idée et ne pas la craindre, parce que le plus souvent elle ne dépend pas de nous. « Que philosopher c’est apprendre à mourir », résume Montaigne. Toute la sagesse antique témoigne d’une réflexion rationnelle en vue d’une attitude raisonnable dans la vie et devant la mort. Spinoza lui réagissait en contre-point : « La philosophie est une méditation sur la vie, non sur la mort ». Car la mort ne prend de sens pour l’humain que par la vie et la recherche du bonheur.

Un sujet sensible, à cause de l’angoisse logée au cœur de notre humanité, qui se sait mortelle

Cette réflexion sur la mort est un sujet sensible pour tous, mais particulièrement pour les enfants et les adolescents, à cause de l’angoisse logée au cœur de notre humanité, qui se sait mortelle, surtout quand ceux-ci ont déjà fait ou viennent de faire l’expérience du deuil. Tout éducateur (famille, école) peut trouver délicat de leur en parler à cause de sa propre angoisse, et se demande s’il est opportun d’aborder la question avec eux : si non pourquoi ? Et si oui, quand et comment ? Car s’ils sont avant tout des êtres de sensibilité et d’imagination, leur raison commence à s’éveiller et peut être sollicitée…

Ce sont souvent les jeunes eux-mêmes qui soulèvent le problème 

Ce qui tranche en partie la question, c’est que ce sont eux-mêmes qui soulèvent le problème, souvent à partir de trois ans, de façon insistante parfois, à l’occasion de la mort d’un animal familier dans la famille ou en classe (« Faut-il l’enterrer ? »), d’un proche ou d’un voisin. Que faire de leurs questions : « Je ne reverrai plus Pépé ? », « Pourquoi on l’a mis dans le trou ? », « Où il est maintenant, dans le ciel ? »  etc. Que faire de leurs questions ? Y répondre ? C’est souvent la solution religieuse pour les croyants : « Il est au paradis, à côté de Jésus, tu peux lui parler dans tes prières ». On apporte alors une réponse, censée combler l’angoisse de l’enfant … et sa propre angoisse. Il y a aussi toute une littérature psychologique intéressante sur la question, pour préparer l’annonce du décès, favoriser l’écoute de l’enfant, le sécuriser, accompagner son deuil par le dessin, des photos…

Faire de la mort un objet de réflexion, propice à l’analyse collective partagée, en prenant de la distance par rapport à l’émotion

L’approche philosophique prend une autre voie que l’accompagnement spirituel ou psychologique. Elle tente d’aborder la mort avec la raison, elle la considère comme une notion complexe posant un problème de définition (qu’est-ce au juste que la mort ?), une réalité difficile à penser, susceptible de plusieurs solutions : définition scientifique de la mort (encéphalogramme plat du cerveau), approche matérialiste immanente versus approche spiritualiste transcendante, hypothèse ou pas de l’âme, d’une vie au-delà ou pas, éclairage de son mystère par les mythes liés à la mort (les enfants aiment les histoires, même tristes). La philosophie amène aussi à une réflexion sur ce que signifie pour un humain d’être mortel, ce qu’est une angoisse existentielle, en quoi cela influence notre manière de vivre, pourquoi les humains enterrent leurs morts, quelles réponses à ces questions, comment réagir lorsque l’on est confronté à cette perte… Elle prend donc de la distance par rapport à l’émotion (celle du sujet affecté), faisant de la mort un objet de réflexion, propice à l’analyse collective partagée.

Ne pas aborder le sujet à chaud, mais attendre qu’un souhait émerge ou que la vivacité d’une émotion soit retombée

La façon d’aborder le sujet est variable avec l’âge, le contexte, les circonstances. Il est souhaitable de ne pas aborder le sujet à chaud, lorsqu’un proche d’un élève vient de décéder ; mais d’attendre qu’il évoque lui-même le problème, ou que la vivacité de l’émotion soit retombée. Une médiation peut être utile : un album de jeunesse par exemple pour les plus jeunes, traitant le sujet avec tact, qui permet à la fois une projection et une distance ; un essai, un poème avec les collégiens ; pour les plus grands un ou deux textes de philosophe avec des points de vue différents (un athée et un croyant par exemple). Pouvoir parler de la mort comme d’un objet de réflexion rationnelle est apaisant. C’est une mutualisation de la condition humaine, un problème partagé où l’on gagne à confronter les vécus et les points de vue. On prend conscience que l’on n’est pas seul dans une situation de deuil, que la mort est une question posée à tout humain, et qu’en parler avec d’autres fait sortir de sa solitude. Cela se prépare en classe, par le choix des supports, la façon d’organiser le dialogue, une gestion de ses propres émotions…

Les écrits de Michel Tozzi peuvent être retrouvés sur son site ou via sa chaîne Youtube.

Vous trouverez ci-dessous une petite sélection d’ouvrages de jeunesse utilisables comme supports, concoctée par Michel Tozzi, ainsi que les éclairages de Johanna Hawken, responsable de la Maison de la Philosophie de Romainville, et de Marie-France Hazebroucq, professeure agrégée de philosophie.